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les dieux se forme dans l’âme du Grec un fond de croyance, dont il a la conscience plus ou moins nette, à une action supérieure qui domine toute sa destinée. Il est sous une impression merveilleuse qui redouble l’émotion du présent et passionne l’attente de l’avenir. La prospérité, le bien d’aujourd’hui, c’est le triomphe des heureuses influences qui protègent, avec la cité, chacun de ses enfans, c’est la manifestation du patronage intermittent qu’exercent sur lui par des voies secrètes ses divinités. Qui sait si leur faveur ne disparaîtra pas demain ? Qu’il jouisse donc, pendant ces heures privilégiées, de tous ces biens dont l’usage lui est permis, et du succès qu’il vient de remporter, et de cette richesse qui éclate autour de lui dans les délicatesses du luxe et dans les œuvres de l’art, et de ces belles fêtes qui l’enivrent, et surtout du sentiment de ses puissantes facultés. Croyez-vous cette peinture factice ou exagérée ? Prenez l’histoire de ces temps où les fêtes triomphales atteignent tout leur éclat. Athènes détruite par les Perses et passant en un instant de la ruine au comble de la gloire ; Égine, sa noble alliée, bientôt assujettie par elle-même ; la riche Syracuse repoussant la grande invasion carthaginoise ; ailleurs, à Thèbes, à Argos, à Rhodes, des troubles renversant l’autorité des anciennes familles et mettant tout l’état en péril. Il est inutile de poursuivre l’énumération ; assurément il y a là assez de vicissitudes soudaines, de menaces et de coups du sort, pour nous autoriser à dire que les Grecs vivaient alors sous la constante impression des influences auxquelles ils attribuaient les variations de leur fortune.

À leurs yeux, le premier mérite de Pindare fut d’exprimer avec une force singulière l’état de leurs esprits pendant ces solennités. Il dégagea des obscurités de leur conscience ce souci de la destinée qui s’y agitait confusément, mais avec force. Il les éleva à sa suite jusqu’à des vues générales et un sentiment supérieur de la condition humaine d’où naissait la sérénité. Nous reviendrons sur cette idée. En même temps, il leur représenta sous les images les plus vives ces souvenirs et ces légendes mêlées de prospérités et d’infortunes qui composaient pour chaque cité et pour chaque famille le trésor héréditaire de gloire dont la fête du jour consacrait l’accroissement. Enfin, par la merveilleuse puissance de son art, il rendit pleinement le brillant caractère de cette fête. C’est ici surtout que l’antiquité grecque s’éloigne de nous et a besoin d’être expliquée.

Nous avons peine à comprendre l’enthousiasme qu’excitait un athlète vainqueur. On se passionne aujourd’hui, chez certains peuples surtout, pour des courses de chevaux, pour des luttes de force et d’adresse ; mais la victoire reste un fait particulier et local ; tout au plus voit-on en présence les champions de deux pays. Une victoire olympique intéressait tout le monde grec. Toute la Grèce,