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qu’aucune autre intéressée au maintien de la tranquillité en France, ils n’y étaient en réalité pas moins intéressés eux-mêmes, puisque la crise où elle se trouve aujourd’hui compromet l’existence de toute l’Europe, et qu’enfin les efforts qu’ils faisaient cette année deviendraient, une fois rentrés dans leurs états, difficiles à renouveler. .

Après avoir lu la déclaration que Votre Majesté a dernièrement adressée à ses sujets, les souverains m’ont encore dit qu’ils avaient remarqué avec regret une phrase où Votre Majesté fait entendre, quoique avec beaucoup de ménagement, qu’elle s’est soumise à accepter leurs secours, d’où l’on conclura peut-être qu’elle aurait pu les refuser et que la paix eût subsisté. Ils craignent que par là Votre Majesté ne se soit donné aux yeux de la France le tort de paraître imposée par eux. Ils pensent que, pour ne point confirmer ses peuples dans une idée si contraire à ses intérêts, il doit avoir peu d’action de sa part et de la part des personnes qui l’entourent. Votre Majesté a beaucoup à faire pour cela, puisque c’est le zèle qu’il faut contenir et même réprimer. Selon leur manière de voir, Votre Majesté doit paraître gémir de ce qui se passe plutôt que d’y coopérer ; elle doit se placer, par elle-même ou par les siens, entre les souverains alliés et ses peuples pour diminuer autant qu’elle le pourra les maux de la guerre et pour tranquilliser les alliés sur la fidélité des places qui se seraient rendues et qui, d’après les arrangemens que je suppose avoir été pris par vos ministres avec le duc de Wellington, auraient été confiées à des personnes de votre choix. Ils croient enfin que, pour ne point paraître exciter la guerre et encore moins la faire elle-même, ni Votre Majesté ni aucun prince de sa famille ne doit se montrer avec les armées alliées. Il n’était jamais arrivé à la politique d’avoir tant de délicatesse[1].

  1. Metternich écrivait à M. de Talleyrand, le 24 juin 1815 :
    « Restez fidèle à votre idée ; faites aller le roi en France, dans le Midi, dans le Nord, dans l’Ouest, où vous voudrez, pourvu qu’il soit chez lui, entouré de Français, loin des baïonnettes étrangères et des secours de l’étranger. Il suffit de suivre le système de Bonaparte pour se convaincre que la grande arme dont il veut se servir est celle de l’émigration. Le roi cessera d’être émigré le jour où il sera chez lui au milieu des siens. Il faut que le roi gouverne et que les armées royales opèrent loin des armées alliées. Dès que le roi aura formé un noyau à l’intérieur, nous dirigerons vers lui tout ce qui déserte à nos armes. »
    (Mémoires de Metternich, t. II, p. 520.)