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Il n’est pas moins de l’intérêt du souverain que de l’intérêt des sujets de le constituer ainsi; car le pouvoir absolu serait aujourd’hui un fardeau aussi pesant pour celui qui l’exercerait que pour ceux sur lesquels il serait exercé.

Avant la révolution, le pouvoir en France était restreint par d’antiques institutions ; il était modifié par l’action des grands corps de la magistrature, du clergé et de la noblesse, qui étaient des élémens nécessaires de son existence, et dont il se servait pour gouverner. Aujourd’hui, ces institutions sont détruites, ces grands moyens de gouvernement sont anéantis. Il faut en trouver d’autres que l’opinion publique ne réprouve pas ; il faut même qu’ils soient tels qu’elle les indique.

Autrefois, l’autorité de la religion pouvait prêter son appui à l’autorité de la puissance souveraine; elle ne le peut plus aujourd’hui que l’indifférence religieuse a pénétré dans toutes les classes et y est devenue générale. La puissance souveraine ne peut donc trouver d’appui que dans l’opinion, et pour cela il faut qu’elle marche d’accord avec cette même opinion.

Elle aura cet appui si les peuples voient que le gouvernement, tout-puissant pour faire leur bonheur, ne peut rien qui y soit contraire. Mais il faut pour cela qu’ils aient la certitude qu’il ne peut y avoir rien d’arbitraire dans sa marche. Il ne suffisait pas qu’ils lui crussent la volonté de faire le bien, car ils pouvaient craindre que cette volonté ne vînt à changer ou qu’il ne se trompât sur les moyens qu’il emploierait. Ce n’est pas assez que la confiance soit fondée sur les vertus et les grandes qualités du souverain, qui comme lui sont périssables; il faut qu’elle soit fondée sur la force des institutions, qui sont permanentes; il faut même plus encore. En vain les institutions seraient-elles de nature à assurer le bonheur des peuples, alors même elles ne leur inspireraient aucune confiance si elles n’établissaient pas la forme de gouvernement que l’opinion générale du siècle fait regarder comme la seule propre à atteindre ce but.

On veut avoir des garanties, on en veut pour le souverain, on en veut pour les sujets. Or, on croirait n’en point avoir :

Si la liberté individuelle n’était pas mise par les lois à l’abri de toute atteinte ;

Si la liberté de la presse n’était point pleinement assurée, et si les lois ne se bornaient pas à en punir les délits[1] ;

  1. Louis XVIII reconnaissait parfois les services rendus par la presse.
    « Voici un mot du roi; il demandait un journal intitulé le Nain jaune, quand M. le duc d’Angoulême lui a dit : « Mais est-ce que Votre Majesté lit le Nain jaune ? On dit que c’est un mauvais journal. — D’abord, a dit le roi, il m’amuse, et puis il me dit ce que vous ne me diriez pas. » Nous attendons votre retour pour faire de même, et mieux encore, car on ne lui dit pas grand’chose. »
    (Jaucourt à Talleyrand, 21 janvier 1815.)