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Avec cette disposition, qui se montre aujourd’hui chez tous les peuples, et dans un temps où l’on discute, où l’on examine, où l’on analyse tout, et surtout les matières politiques, on se demande ce que c’est que la légitimité, d’où elle provient, ce qui la constitue[1].

Lorsque les sentimens religieux étaient profondément gravés dans les cœurs et qu’ils étaient tout-puissans sur les esprits, les hommes pouvaient croire que la puissance souveraine était une émanation de la Divinité, ils pouvaient croire que les familles que la protection du ciel avait placées sur les trônes, et que sa volonté avait longtemps maintenues, régnaient sur eux de droit divin. Mais dans un temps où il reste à peine une trace légère de ces sentimens, où le lien de la religion, s’il n’est rompu, est au moins bien relâché, on ne veut plus admettre une telle origine de la légitimité.

Aujourd’hui, l’opinion générale, et l’on tenterait vainement de l’affaiblir, est que les gouvernemens existent uniquement pour les peuples : une conséquence nécessaire de cette opinion, c’est que le pouvoir légitime est celui qui peut le mieux assurer leur bonheur et leur repos. Or il suit de là que le seul pouvoir légitime est celui qui existe depuis une longue succession d’années ; et en effet, ce pouvoir, fortifié par le respect qu’inspire le souvenir des temps passés, par l’attachement qu’il est naturel aux hommes d’avoir pour la race de leur maître, ayant pour lui l’ancien état de possession, qui est un droit aux yeux de tous les individus, parce qu’il en est un d’après les lois qui régissent les propriétés particulières, livre plus rarement qu’aucun autre le sort des peuples au funeste hasard des révolutions ; c’est donc celui auquel leurs plus chers intérêts leur commandent de rester soumis. Mais si l’on vient malheureusement à penser que les abus de ce pouvoir l’emportent sur les avantages qu’il peut procurer, on est conduit à regarder la légitimité comme une chimère.

Que faut-il donc pour donner aux peuples la confiance dans le pouvoir légitime, pour conserver à ce pouvoir le respect qui assure sa stabilité ? Il suffit, mais il est indispensable de le constituer de telle manière que tous les motifs de crainte qu’il peut donner soient écartés.

  1. C’est ici qu’on peut voir les deux légitimités : l’une, celle de Louis XIV, que, par un anachronisme singulier et par une méconnaissance fatale des idées modernes, l’entourage de Louis XVIII voulait ressusciter ; l’autre, celle de M. de Talleyrand et des royalistes constitutionnels, dont on peut retrouver les doctrines politiques dans le nouveau projet d’acte constitutionnel présenté au sénat par le prince de Bénévent, le 6 avril 1814, qui garantissait les principales conquêtes de la révolution, la liberté de la presse, la liberté des cultes, etc., et appelait librement au trône, par l’article 2, Louis-Stanislas-Xavier comme roi des Français. Il ne s’agissait alors ni de droit divin ni de charte octroyée.