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été encore par leur conduite dans le monde, par leur langage et par l’opinion qu’ils ont su faire prendre et d’eux-mêmes et du gouvernement qu’ils représentaient. C’est à leur coopération éclairée que je dois d’être parvenu à surmonter tant d’obstacles, à changer tant de mauvaises dispositions, à détruire tant d’impressions fâcheuses, d’avoir enfin rendu au gouvernement de Votre Majesté toute la part d’influence qu’il devait avoir dans les délibérations de l’Europe.

C’était en nous attachant à défendre le principe de la légitimité que nous avions atteint ce but important. La présence des souverains qui se trouvaient à Vienne et de tous les membres du congrès à la cérémonie expiatoire du 21 janvier fut un hommage éclatant rendu à ce principe.

Mais pendant qu’il triomphait au congrès, en France il était attaqué.

Ce que je vais dire à ce sujet à Votre Majesté a pu être vu plus distinctement de loin qu’il ne l’était à Paris[1]. Hors de la France, l’attention étant moins détournée, les faits arrivant en masse et dégagés des circonstances accessoires qui, sur les lieux mêmes, pouvaient les faire méconnaître, devaient à une certaine distance être mieux jugés, et cependant je n’aurais pas assez de confiance dans des observations qui ne seraient pas les miennes. Ayant rempli une mission longue hors de France, il est de mon devoir de faire auprès de Votre Majesté ce qui, dans le département des affaires étrangères, est prescrit à tous les agens employés au dehors. Ils doivent rendre compte de l’opinion que l’on a prise, dans les pays où ils ont été accrédités, des différens actes du gouvernement et des réflexions que, parmi les hommes éclairés et attentifs, ils ont pu faire naître.

On peut s’accommoder d’un état de choses qui est fixe, lors même qu’on en a été blessé dans son principe, parce qu’il ne laisse pas de craintes pour l’avenir, mais non d’un état de choses qui varie chaque jour, parce que chaque jour il fait naître de nouvelles craintes et que l’on ne sait quel en sera le terme. Les révolutionnaires avaient pris leur parti sur les premiers actes du gouvernement de Votre Majesté; ils se sont effrayés de ce qui a été fait quinze jours, un mois, six mois après. C’est ainsi qu’ils s’étaient résignés à l’élimination faite dans le sénat[2] et qu’ils n’ont pu

  1. « On ne voit bien, vous avez mille fois raison, que ce qu’on voit dans son ensemble, et il y a peut-être autant de force d’esprit à se placer à une juste perspective, à distance du mouvement et des agitations, quand on se trouve au milieu, qu’à s’en rapprocher et les bien juger quand on en est éloigné, »
    (Jaucourt à Talleyrand, 4 février 1815.)
  2. Cinquante-trois sénateurs avaient été exclus par Louis XVIII, et parmi eux Cambacérès, Chaptal, Curée, le cardinal Fesch, Fouché, François de Neufchâteau, Garat, Grégoire, Lambrecht, Roger-Ducos, Rœderer, Sieyès...