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M. de Metternich m’ayant communiqué officiellement sa note du 10 décembre, je pus faire entendre l’opinion de la France, et j’adressai à lui et à lord Castlereagh une profession de foi politique complète. Je déclarai que Votre Majesté ne demandait rien pour la France, qu’elle ne demandait pour qui que ce fût que la simple justice, que ce qu’elle désirait par-dessus toute chose, c’était que les révolutions finissent, que les doctrines qu’elles avaient produites n’entrassent plus dans les relations politiques des états, afin que chaque gouvernement pût ou les prévenir ou les terminer complètement s’il en était menacé ou atteint.

Ces déclarations achevèrent de dissiper la défiance dont nous avions d’abord été l’objet; elle fit bientôt place au sentiment contraire. Rien ne se fit plus sans notre concours; non-seulement nous fûmes consultés, mais on rechercha notre suffrage. L’opinion publique changea tout à fait à notre égard, et une affluence de personnes qui s’étaient montrées si craintives remplaça l’isolement où nous avions d’abord été laissés.

Il était plus difficile pour l’Angleterre qu’il ne l’avait été pour l’Autriche de revenir sur la promesse faite à la Prusse de lui abandonner la totalité du royaume de Saxe. Ses notes étaient plus positives. Elle n’avait point, comme l’Autriche, subordonné cet abandon à la difficulté de trouver d’autres moyens d’indemniser complètement la Prusse, par des possessions à sa convenance, des pertes qu’elle avait faites depuis 1806. D’ailleurs la position des ministres anglais les oblige, sous peine de perdre ce que l’on nomme en Angleterre le character, à ne point s’écarter de la route dans laquelle ils sont une fois entrés, et dans le choix qu’ils font de cette route, leur politique doit toujours être de se conformer à l’opinion probable du parlement. Cependant la légation anglaise fut amenée aussi à revenir sur ce qu’elle avait promis, à changer de système, à vouloir que le royaume de Saxe ne fût pas détruit, à se rapprocher de la France, et même à s’unir avec elle et l’Autriche par un traité d’alliance. Ce traité, remarquable surtout comme premier rapprochement entre des puissances que des intérêts communs devaient tôt ou tard appeler à se soutenir, fut signé le 3 janvier[1]. La Bavière, le Hanovre et les Pays-Bas y accédèrent, et

  1. « M. de Talleyrand avait fait à Vienne une grande chose. Par le traité d’alliance qu’il avait conclu, le 3 janvier 1815, entre la France, l’Angleterre et l’Autriche, il avait mis fin à la coalition formée contre nous en 1813 et coupé l’Europe en deux au profit de la France; mais l’événement du 20 mars avait détruit son œuvre; la coalition européenne s’était reformée contre Napoléon et contre la France, qui se faisait ou se laissait faire l’instrument de Napoléon. »
    (Mémoires de Guizot, t. I, p. 100.)
    Malheureusement, tandis que M. de Talleyrand, par l’habileté de ses négociations à Vienne, obtenait ces résultats, les maladresses du gouvernement de la restauration à l’intérieur précipitaient la crise qui devait détruire son œuvre. Aussi M. de Jaucourt lui écrivait le 24 novembre 1814 :
    « Si tout ce que vous ne faites pas allait aussi bien que ce que vous faites, ce serait merveille... Pour moi, que le zèle de la maison du Seigneur dévore, je désire que vous pensiez beaucoup à notre état ministériel, financier et constitutionnel, à établir à tout prix un ministère. Portez votre pensée pénétrante et judicieuse sur l’avenir… Sans vous, nos affaires iraient mal. »