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longtemps peine à se faire entendre ; avant que nous fussions parvenus à en faire sentir l’Importance, les puissances alliées avaient déjà pris des engagemens qui y étaient entièrement opposés.

La Prusse avait demandé la Saxe tout entière, la Russie l’avait demandée pour la Prusse ; l’Angleterre avait, par des notes officielles, non-seulement consenti sans réserve à ce qu’elle lui fût donnée, mais elle avait encore essayé de démontrer qu’il était juste, qu’il était utile de le faire. L’Autriche y avait aussi officiellement donné son adhésion, sauf quelques rectifications de frontières. La Saxe était ainsi complètement sacrifiée par des arrangemens particuliers faits entre l’Autriche, la Russie, l’Angleterre et la Prusse, auxquels la France était restée étrangère.

Cependant le langage de l’ambassade de France, sa marche raisonnée, sérieuse, uniforme, dégagée de toutes vues ambitieuses, commençait à faire impression. Elle voyait renaître la confiance autour d’elle[1] ; on sentait que ce qu’elle disait n’était pas plus dans l’intérêt de la France que dans celui de l’Europe et de chaque état en particulier. On ouvrait les yeux sur les dangers qu’elle avait signalés. L’Autriche, la première, voulut revenir sur ce qui était pour ainsi dire définitivement arrêté relativement à la Saxe et déclara, dans une note remise au prince de Hardenberg le 10 décembre 1814, qu’elle ne souffrirait pas que ce royaume fût détruit.

Ce fut là le premier avantage que nous obtînmes en suivant la ligne que Votre Majesté nous avait tracée[2].

Je me reproche de m’être souvent plaint, dans les lettres que j’ai eu l’honneur de lui écrire, des difficultés que nous éprouvions, de la lenteur avec laquelle marchaient les affaires. Cette lenteur, je la bénis aujourd’hui, car si les affaires eussent été conduites avec plus de rapidité, avant le mois de mars, le congrès eût été fini, les souverains dans leurs capitales, les armées rentrées chez elles, et alors que de difficultés à surmonter[3] !

  1. « Seul entre tous les souverains, le roi s’est présenté au congrès comme le défenseur des principes. Sa politique, en se dégageant de toutes vues personnelles, a donné à la cause que nous défendons un caractère très noble et que tout le monde commence à apprécier, ce qui, joint à la franchise que nous avons mise dans toutes les communications et qui ne permet plus à personne de douter de la générosité et du désintéressement de la France, éloigne chaque jour et de plus en plus les soupçons d’ambition et de mauvaise foi que l’un avait conservés contre elle. Aussi sommes-nous autant recherchés aujourd’hui que nous étions évités d’abord. »
    (Lettre de Talleyrand au marquis de Bonnay,18 novembre 1814.)
  2. Voir d’Angeborg, Instructions pour le prince de Talleyrand au congrès de Vienne (septembre 1814).
  3. Ces paroles de Talleyrand font penser au mot de Mme de Staël sur les cent-jours : « Si Nap iléon triomphe, c’en est fait de la liberté ; s’il succombe devant l’Europe, c’en est fait de l’indépendance nationale. »