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avait souhaité et préconisé l’annexion se trouvait déçu dans ses espérances. Les spéculateurs, les hommes d’aventure, les hommes à jabots et à manchettes n’étaient pas contens; les hommes de développement s’avisaient que, sous le régime anglais, le Transvaal était bien lent à se développer et leurs poches bien lentes à se remplir. L’état financier du pays ne tendait point à s’améliorer, la dette s’était accrue, le chemin de fer de la baie de Lagoa était encore à l’étude, l’or britannique n’avait point opéré de miracles, les concessions étaient rares, les entreprises demeuraient en suspens, et quoi qu’en eût dit le général Cunynghame, « les collines dorées de notre admirable district de Lydeoberg » ressemblaient beaucoup aux sévères collines d’avant l’annexion. La bonhomie de sir Arthur n’avait pas produit de plus beaux résultats que le silence de sir Theophilus, on en était encore aux vaches maigres, les vaches grasses se faisaient attendre, on commençait à n’y plus croire, et c’est ainsi que par degrés tout le monde se mettait d’accord pour faire grise mine à l’Angleterre. Cependant les délégués qu’on envoyait coup sur coup en Europe en revenaient sans avoir rien obtenu. Toute patience a ses bornes, même la patience hollandaise. Les Boers se résolurent à revendiquer par les armes ce qu’on refusait à leurs requêtes et à leurs justes remontrances. Ils se soulevèrent, le sang coula, ils remportèrent des succès inespérés, et ils prouvèrent par leur courage héroïque à quel point ils étaient dignes de leur liberté.

Il est plus facile de ne pas faire de fautes que de réparer celles qu’on a faites, et on peut croire que, si le gouvernement anglais avait été mieux informé, mieux renseigné, il se fût gardé de mettre la main sur le Transvaal. Il eût compris que cette conquête sans gloire n’était pas une conquête sans péril, qu’elle ne lui profiterait guère, que pour la conserver, il faudrait un jour verser du sang et imposer d’inutiles sacrifices aux contribuables du Royaume-Uni. Mais les grandes puissances coloniales qui ont des possessions dans le monde entier ressemblent à ces grands seigneurs qui ont hérité de vastes terres où ils ne mettent jamais les pieds, et qui les font administrer par des intendans à la bonne foi desquels ils sont obligés de s’en remettre. Les grands seigneurs sont souvent trompés par leurs intendans, les gouvernemens se laissent souvent gouverner et compromettre par leurs agens : — « Un secrétaire d’état pour les colonies, a dit M. Aylward, est presque toujours à la merci de ses subordonnés, lesquels sont en règle générale des hommes remplis d’eux-mêmes, pénétrés de leur importance, esclaves de leurs théories personnelles ou aveuglés sur les vrais intérêts par les traditions ou par les habitudes d’esprit qu’ils ont contractées dans l’exercice de leur métier. Dans les colonies, les fonctionnaires publics forment une classe; leurs entours constituent ce qu’on appelle la société et font bande à part, sans se mêler jamais aux gens du pays et sans se douter qu’ils