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L’amour, pour d’Alembert, et pour Voltaire aussi, quand il parle avec humeur des « comédies métaphysiques » de Marivaux, c’est l’amour, comme l’ambition c’est l’ambition, et comme la haine c’est la haine, sans distinction ni nuances, des ressorts ou des mobiles abstraits, sans figure ni couleur, qui se traduisent par les mêmes mouvemens, en passant par les mêmes phases, pour aboutir aux mêmes effets. Mais, quoi qu’ils en disent, vous, qui n’êtes pas philosophe et qui ne collaborez pas à l’Encyclopédie, dites-moi, est-ce que vous apercevez la moindre ressemblance entre la Silvia du Jeu de l’amour et du hasard et l’Araminte des Fausses Confidences? Est-ce que vous trouvez que le sujet de la Double Inconstance est le même que celui de la Surprise de l’amour? Est-ce que de l’une à l’autre de ces quatre pièces, la psychologie n’est pas entièrement neuve? l’intrigue absolument différente? les personnages caractérisés chacun par des traits différens? Quoi! ces deux amans qui, dans la Surprise de l’amour, en viennent à s’aimer, quoi qu’ils en aient, ce serait le même sujet que la Double Inconstance, où deux amans, quoi qu’ils fassent, cessent insensiblement de s’aimer? Et le roman de cette riante, espiègle et charmante Silvia du Jeu de l’amour et du hasard, ce serait l’histoire de la tout indulgente, tout humaine et un peu nonchalante Araminte des Fausses Confidences? L’une se dépite et se mutine d’être prise au piège qu’elle-même a tendu, l’autre se désespère de tendre inutilement son piège et que celui qu’elle voudrait ne s’y prenne pas. Tout le monde conspire unanimement au bonheur de la première, et tout le monde unanimement conspire pour la contrariété de la seconde. Et Marivaux fait toujours la même pièce? il peint toujours la même femme? Allons, décidément, ce géomètre qui, voyant jouer Athalie, demandait: « Qu’est-ce que cela prouve? » il est inutile qu’on le cherche, ce devait être d’Alembert.

De cette conception fondamentale des comédies de l’amour, tout ce que l’on peut dire, c’est qu’il est arrivé nécessairement que les femmes, comme dans la tragédie de Racine, ont le beau rôle, en général, dans le théâtre de Marivaux, et que les hommes n’ont d’éclat que celui que leur prête la femme qui les aime. Peut-être aussi, le procédé de Marivaux, plus uniforme que celui de Racine, contribue-t-il à diminuer encore le peu de relief qu’il donne à ses rôles d’hommes. Il me paraît évident que c’est son caractère de femme qu’il étudie d’abord, très finement, très profondément, et que c’est seulement, comme on dit, quand il le tient, qu’il commence à construire sa pièce. Or, presque toujours, son rôle d’homme est la répétition ou la réplique de son rôle de femme. Si la comtesse de la Surprise de l’amour en est à détester les hommes, Lélio détestera les femmes. Si la Silvia du Jeu de l’amour et du hasard