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à solliciter l’applaudissement des gentilshommes, n’empêchent la pure nature de se dégager et d’apparaître bientôt dans toute sa simplicité, toute sa franchise, toute sa nudité. Vraiment, j’aime trop Marivaux pour l’exposer davantage, pour l’exposer gratuitement, au danger d’une telle et si redoutable comparaison. Il importe en critique de ne prononcer qu’à bon escient de certains noms, sous l’autorité desquels, autrement, il n’y aurait personne, qu’avec les meilleures intentions du monde on n’écrasât.

Il arrive cependant quelquefois que les circonstances ou l’histoire nous les imposent, quand ce n’est pas l’imprudence même de celui dont nous parlons qui les évoque dans notre souvenir. Marivaux n’aimait pas Molière : il a lui-même pris soin de le dire en propres termes. Nos antipathies nous jugent aussi sûrement, plus sûrement peut-être que nos sympathies. Marivaux a même été plus loin : il a voulu refaire telles et telles pièces de Molière, et non pas le Sicilien ou le Mariage forcé, mais tout bonnement l’École des femmes dans son École des mères, et le Misanthrope dans ses Sincères. Soyez sûr, après cela, qu’en écrivant Marianne et traçant le portrait de M. de Climal, il ne choisissait pas ses traits sans avoir quelque arrière-pensée de refaire Tartufe. Or non-seulement ces imprudences ne devaient pas lui porter malheur, mais au contraire, et c’est en cela qu’il est unique dans notre littérature dramatique, c’est au moment précis qu’il quitte décidément les traces de Molière que Marivaux devient original. C’est alors qu’il entre dans une voie nouvelle, au terme de laquelle il est certain que l’on arrive assez promptement, mais qui n’en est pas moins nouvelle, qu’il a le premier découverte, et dans laquelle on accorde qu’après lui nul n’a plus trouvé qu’à glaner.


En effet, tous les chemins qu’avait frayés le génie de Molière étaient usés : consultez le répertoire du Théâtre-Français : tant de monde y avait successivement passé ! A vrai dire, on aurait pu modeler après Molière quelques masques de théâtre et dessiner quelques costumes; car est-ce aux personnages de Dancourt que les masques n’eussent pu s’adapter, ou les costumes convenir aux personnages de Destouches? Mais ni les marquis ni les intendans de Marivaux n’eussent pu s’en accommoder, ni ses Silvia ni ses Araminte. Araminte ou Silvia se fussent senties mal à l’aise dans la robe de cour de Célimène ou dans le fourreau gris d’Agnès. Et vous n’eussiez jamais fait parler Arlequin ou Pasquin par le masque, — je ne veux pas dire de Scapin ou de Sbrigani, — mais de Mascarille ou de Sganarelle. Tournez les yeux d’un autre côté maintenant, et voyez comme il est à l’aise dans la robe de chambre du