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l’ancienne troupe, la troupe de Mazarin et de Louis XIV, avait été vers la fin du siècle, en 1697, expulsée de France, pour avoir joué publiquement Mme de Maintenon. Et puis, on ne fait pas attention que nous avons contracté dans notre siècle égalitaire une ridicule susceptibilité d’amour-propre. Ce qui nous blesse aujourd’hui, jadis effleurait à peine l’épiderme : et la plaisanterie, même téméraire, ne touchait un homme que quand elle était directe et personnelle. Lorsque Molière disait, dans l’Impromptu de Versailles : « Il faut un roi qui soit gros et gras comme quatre ; un roi, morbleu ! qui soit entripaillé comme il faut; un roi d’une vaste circonférence, .. » avez-vous par hasard ouï dire que Louis XIV ait froncé le sourcil? Certainement Marivaux n’y mettait pas plus de malice que Molière. Mais l’un et l’autre s’amusaient des hommes et des choses de leur temps, rien de moins et rien de plus. Ne brouillons pas les temps, ne transportons pas nos idées de revendication et de protestation dans le passé, ne voyons pas plus une attaque à la noblesse dans les Fausses Confidences que dans les Plaideurs une attaque à la magistrature, et, par grâce! dans le fin cristal de Marivaux, si délicatement taillé, ne versons pas le gros vin de nos utopies socialistes.

Il n’y a rien de plus dangereux que ces sortes d’exagérations. En trois ou quatre mots, on vous a du tout au tout transformé le personnage : et voilà désormais une idée fausse qui fait son chemin sûrement, ayant pour soi l’appât du paradoxe, et, si l’on n’y regarde pas de près, la séduction de la nouveauté.

D’autres encore, moins hardis sans doute, ont cru pouvoir prononcer le nom de Shakespeare et rappeler ses féeries; mais quelles féeries? la Tempête ou le Songe d’une nuit d’été? Pour discret que soit le rapprochement, — et sans rechercher si quelqu’un n’est pas venu le rendre inacceptable en appuyant, et d’une indication fugitive tirant une comparaison dans les règles, — je crains qu’on ne soit dupe ici d’une illusion ou plutôt d’un mirage. On croit voir, et l’on ne voit pas. Et si je ne me trompe, cela doit tenir uniquement à l’effet poétique des noms et du décor italiens. Les Silvia de Marivaux et les Flaminia, quand nous n’entendons d’elles que le son de leur nom, nous transportent un instant, — le court instant d’un rêve, — dans le même monde, à ce qu’il semble, que les Portia de Shakespeare et ses Miranda; mais il suffit qu’elles ouvrent la bouche, et nous voilà ramenés de ce même monde italien dans le petit monde français du XVIIIe siècle, avec Marivaux, poétique, si l’on veut, mais poétique à force de raffinemens et d’élégances apprises, tandis que Shakespeare nous emporte, lui, dans ce monde où ni les grossières plaisanteries qu’il concède à l’ébaudissement du parterre, ni l’insupportable euphuisme qui lui sert