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éblouir ses concitoyens par sa magnificence, eut l’idée de remplacer les planches par des colonnes de marbre, de couvrir l’espace où se tenaient les électeurs pour les mettre à l’abri de la pluie et du soleil, et de tout entourer de superbes portiques. Ce bel ouvrage, que sans doute il ne fit que commencer, fut achevé par Auguste ; mais, hélas ! il ne servit guère. À peine était-il fini, qu’on ôta au peuple le droit d’élire ses magistrats. Les sœpta marmorea de César n’ont donc jamais été qu’une décoration pour le champ de Mars. Les étrangers les admiraient beaucoup ; mais les bons citoyens, quand ils passaient près de ce monument somptueux et inutile, ont dû quelquefois regretter le pauvre parc à moutons de la république, avec ses barrières de planches, où, pendant cinq siècles, on avait nommé les consuls.

L’ovile contenait un grand nombre d’entrées auxquelles on arrivait par des passages étroits qu’on appelait des ponts. Les citoyens de chaque centurie se tenaient en face de la porte par où ils devaient pénétrer dans l’ovile. À un signal donné, pour toutes les centuries à la fois, sauf la . prœrogativa, qui avait déjà voté, le vote commençait. Les électeurs passaient l’un après l’autre, et probablement dans un ordre convenu ; à l’entrée du pont, ils recevaient une petite tablette, ou, comme nous dirions aujourd’hui, un bulletin, sur lequel ils écrivaient ou faisaient écrire le nom de leurs deux candidats. À l’autre extrémité, qui donnait accès à l’ovile, ils déposaient leur tablette dans une corbeille. Une fois entrés dans l’ovile, ils n’en pouvaient plus sortir que tout ne fût fini, et par conséquent il leur était impossible de voter deux fois. Longtemps le vote avait été public : les citoyens en passant sur les ponts disaient de vive voix les noms de ceux auxquels ils voulaient donner leurs suffrages, et on les inscrivait sur des registres. Mais les tribuns du peuple réclamèrent et finirent par obtenir le scrutin secret. Ce fut une grande victoire pour la plèbe, et Cicéron déclare qu’elle porta un coup mortel à l’aristocratie. Les pauvres gens n’osaient pas braver les nobles en face ; la certitude que leur vote ne serait pas connu leur rendit leur liberté. Après avoir établi la liberté du vote par le secret, il fallut assurer la sincérité de l’élection en prévenant toutes les fraudes. C’est ce qui devint avec le temps fort difficile. À mesure que s’altérait la moralité publique, les divers partis, de plus en plus animés les uns contre les autres, de moins en moins scrupuleux, n’hésitaient pas à recourir à des moyens coupables pour faire triompher leurs candidats. On fut obligé de prendre toute sorte de précautions pour déjouer leurs ruses. Les ponts furent rendus plus étroits afin que la surveillance fût plus facile : il fallait qu’on pût voir de près chaque électeur, les reconnaître et empêcher