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car, ici même, où nous avons le droit séculaire de défendre nos intérêts, nul n’ose prononcer le nom de l’institution que chacun désire, que chacun sait être désormais indispensable. Ce ne sont pas des privilèges que nous devons demander, ce sont des garanties pour la liberté de tous, garanties sans lesquelles la vie n’est plus possible. Voyez la Finlande en possession de libertés que le gouvernement russe lui a données et qu’il nous refuse. » Et, comme ce hardi langage provoquait les scrupules des timides ou les protestations des gens de cour, l’orateur reprenait en termes encore plus catégoriques : « Il est indispensable d’obtenir un contrôle sur les actes du gouvernement, indispensable d’obtenir la responsabilité des ministres devant une assemblée composée des représentans du pays. » Le lecteur remarquera cette périphrase pour désigner une constitution, c’est-à-dire cette chose que tout le monde souhaite et que personne n’ose nommer. On comprend que la noblesse pétersbourgeoise n’ait pas osé s’approprier dans son intégrité la motion de M. Platonof. Sur la proposition de son président, le comte Bobrynski, elle s’est contentée de demander la remise en vigueur d’une loi conférant à la noblesse le droit de présenter des remontrances sur les abus de l’administration, droit dont elle ne s’était jamais beaucoup servie et dont elle n’avait pas moins été dépouillée vers 1868. La motion de M. Platonof, reproduite par la presse, n’en a pas eu moins d’écho dans le pays; on peut dire qu’elle résume les aspirations des classes les plus élevées de la société[1].

L’empereur Alexandre II n’a pu répondre aux demandes de la noblesse pétersbourgeoise, c’est à son fils de le faire à sa place. Si le nouvel empereur reste fidèle à ce qu’il était comme tsarévitch, le sens de la réponse n’est pas douteux. S’il hésite, si des conseillers trop prudens l’arrêtent sous prétexte de sécurité, il se prépare un règne singulièrement tourmenté. Il est des cas où le parti le plus sûr est le plus brave, où il y a plus à risquer à ne pas risquer. Telle est aujourd’hui la situation d’Alexandre III.

Il y a plus de vingt ans, l’empereur actuel, alors âgé d’une douzaine d’années (était-ce bien Alexandre III ou son frère aîné mort à Nice, je l’ai oublié; mais peu importe), il y a plus de vingt ans donc, l’un des deux fils aînés de l’empereur disait mystérieusement à un de ses petits camarades dont je tiens l’anecdote : « Sais-tu que j’ai fait une découverte? j’ai surpris un grand secret, promets-moi de ne le révéler à personne : l’empereur Paul est mort assassiné. »

  1. Au lendemain même de l’assassinat d’Alexandre II, plusieurs journaux et entre autres le Golos, qui a comme le Times la prétention d’être avant tout le miroir de l’opinion publique, se sont faits l’organe d’un vœu analogue.