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le temps n’avait pas pu guérir les Romains : ils regardaient ce vote comme une sorte de désignation ou d’ordre du ciel; tous les indécis allaient de ce côté, et on avait remarqué qu’il était rare que celui qui était élu par la première centurie ne fut pas confirmé par les suivantes. Dans la constitution primitive de Servius, c’était aux nobles qu’appartenait ce droit important de préjuger ainsi de l’élection définitive, et la prœrogativa était toujours prise parmi les dix-huit centuries de chevaliers. Quand cette constitution fut réformée dans un sens plus libéral, il fut établi que le choix en serait laissé au sort. Celle que le sort avait désignée donnait donc seule son suffrage, et ce n’est qu’après qu’on avait proclamé le nom de ses élus qu’on appelait les autres à voter.

Il y aurait un certain intérêt à connaître d’une façon précise et dans le détail comment s’accomplissait l’élection. C’est toujours une machine compliquée et assez embarrassante à manœuvrer que le suffrage universel. On n’a pas oublié que de difficultés on éprouva chez nous, en 1848, quand on s’en servit pour la première fois. Depuis lors, on est parvenu à supprimer les longueurs en multipliant les bureaux de vote, mais les Romains ne connaissaient pas cet expédient, qui rend tout simple et rapide ; ils faisaient voter tous les électeurs ensemble, et cependant l’élection était presque toujours finie et le résultat connu avant le soir. Comment s’y prenaient-ils pour aller si vite? Nous ne le savons pas aussi exactement que nous le voudrions, et c’est un sujet sur lequel il reste encore quelques légères obscurités. Aucun des écrivains de l’ancienne Rome ne nous a laissé le tableau complet d’une élection. Les événemens qui reviennent à époque fixe, qui font pour ainsi dire partie de la vie ordinaire sont quelquefois ceux dont le souvenir est le plus exposé à se perdre. Ils sont si connus, si familiers à tout le monde, qu’il ne vient à l’esprit de personne qu’on pourra un jour les ignorer et qu’on souhaitera les savoir; il est donc naturel qu’on ne songe pas à les décrire. Mais comme les historiens et les orateurs de Rome ont été amenés à nous parler souvent des scènes électorales qui agitaient la cité, on peut arriver, en recueillant et en comparant les renseignemens épars qu’on rencontre chez eux, à se faire une idée de la manière dont on donnait et dont on recueillait les suffrages.

Dans la partie du champ de Mars réservée aux élections se trouvait un très vaste espace entouré par des barrières qui étaient probablement en planches. Il ressemblait assez à un grand parc à bestiaux, et on lui en avait donné le nom : on l’appelait ovile ou sœpta. C’était une construction fort simple, tout à fait modeste, dont on s’était contenté pendant des siècles. César, qui voulait