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toutes les causes déterminantes. Voilà ce que M. Leslie a montré de la façon la plus ingénieuse et la plus spirituelle.

« Aucune branche du savoir humain, dit-il, n’est plus imprégnée de ce réalisme de l’école scolastique du moyen âge qui attribuait une existence réelle à des notions générales et abstraites, c’est-à-dire à des mots. Un même nom est donné à une quantité de choses en fait très différentes, mais ayant en commun un certain caractère sur lequel l’attention est appelée. Ce nom n’indique que ce seul « prédicat, » et il fait oublier les différences des objets qu’il doit représenter.» Ce désir de la richesse dont on prétend faire l’unique ressort du monde économique est un nom général embrassant un très grand nombre d’appétits, de besoins et de poursuites qui changent suivant l’époque, la race, la latitude, et dont les effets ne se ressemblent nullement. Au début de la civilisation, le désir de la richesse ne signifie rien de plus que la faim et la soif, qui conduisent à l’anthropophagie. Plus tard, il fait rechercher la possession d’un nombreux bétail. Quand arrive la période agricole, il se traduit par l’amour de la terre; mais cet amour même a des formes et des conséquences très diverses dans deux pays aussi voisins que l’Angleterre et la France. En Angleterre, il aboutit à la concentration du sol en quelques mains et à la création des latifundia. En France, au contraire, il produit le morcellement et la petite propriété. En Orient, il poussera les gens riches à couvrir leurs vêtemens et même leurs chevaux ou leurs éléphans de pierreries ; en Occident, il fera que des crésus qui comptent leur fortune par centaines de millions se privent de tout pour accumuler dans leur coffre-fort des chiffons de papier représentant des chemins de fer, des usines, des canaux et des banques qu’ils ne verront jamais.

Ce désir de la richesse est loin d’être toujours, comme on le suppose, un stimulant à l’œuvre de la production. Quand les Arabes, dans l’Afrique centrale, incendient les villages pour voler les esclaves, quand le rack rent enlève au cultivateur tous les fruits de ses efforts, quand un marchand malhonnête vend des denrées falsifiées, le mobile est toujours le désir de s’enrichir, et cependant, loin de contribuer à l’accroissement de la richesse, ils découragent le travail qui la fait naître. Il est impossible de prévoir à quels actes conduira ce prétendu ressort universel, la recherche de la jouissance. Il mènera les uns à s’empoisonner avec du hachich ou de l’opium ou à s’enivrer de bière et de gin ; d’autres à se priver de tout pour acheter un lopin de terre ; celui-ci à travailler sans relâche, celui-là à chercher le moyen de dépouiller ses voisins. — Un os représente assez bien l’idéal du bien-être pour un chien, et les motifs d’action chez l’animal sont simples et peu