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terribles et dans leurs proportions et dans leurs conséquences, plus les nations comprendront qu’elles ont intérêt à les éviter en se soumettant à certaines règles de droit et d’équité. Autrefois, chez les Germains, les procès se vidaient, non par des plaidoyers et devant un juge, comme chez les Romains, mais les armes à la main et par le duel judiciaire. Peu à peu cette coutume barbare est tombée en désuétude : la justice imposée par un arbitre tranche le différend. Pourquoi ce progrès qui s’est accompli entre individus ne serait-il pas appliqué un jour entre les peuples? Cet idéal cessera d’être une utopie le jour où les peuples revendiqueront le droit de décider eux-mêmes la paix ou la guerre et où ils se pénétreront bien de cette vérité qu’aucune guerre, même la plus heureuse, ne peut apporter de compensation aux maux incalculables qu’elle occasionne.

Le plus grand service que M. Leslie ait rendu à la science qu’il cultive, c’est celui d’avoir soumis à une critique impitoyable la méthode a priori, généralement employée naguère en Angleterre et qui est encore très en faveur en France. Cette méthode a été longtemps celle même de Stuart Mill, et s’il y a renoncé vers la fin de sa vie, c’est sans doute en partie par suite de l’influence des écrits et des conversations de son ami Leslie. Voici en quoi elle consiste. « L’économie politique, disait l’ancien chancelier de l’échiquier, lord Sherbrooke, n’appartient en particulier à aucun peuple ni à aucune époque. Elle est fondée sur les attributs de l’esprit humain, et rien ne peut la modifier. » Quelles sont ces bases universelles et immuables de la science? C’est le fait évident que tout homme désire augmenter son bien-être et s’épargner de la peine. « Que chacun aspire à accroître sa richesse avec le moins de sacrifices possible, dit M. Senior, c’est en économie politique, comme la gravitation en physique, le principe fondamental au-delà duquel on ne peut pas remonter et dont toutes les autres propositions ne sont que des conséquences ou des illustrations. » Ce qui constitue une science, d’après lord Sherbrooke, c’est de posséder des prémisses assez évidentes et assez bien établies pour qu’il soit possible d’en déduire la suite nécessaire, et ainsi de prédire ce qui doit arriver. Dans la guerre, en morale, en amour, en religion, en politique, ajoute-t-il, il est impossible de prévoir comment les hommes agiront et, par conséquent, de raisonner « déductivement; » mais dans les questions qui se rapportent à la richesse, les déviations, résultant d’autres causes que le désir de la posséder, peuvent être négligées, sans crainte d’erreur appréciable. Il ne faut pas plus tenir compte de ces autres causes, qu’il appelle disturbing causes, que le physicien ne le fait du frottement. Pour résoudre tous les problèmes économiques, il suffit de savoir que la passion générale