Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/626

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne le font pas, il les exclut à peu près du royaume de Dieu (X, 26). Il est tendre surtout pour les simples, pour ceux qui sont comme des enfans (IX, 41 et X, 14). Il l’est jusque pour les pécheurs, les profanes, ceux qui scandalisent les dévots (II, 17). Il ne permet la prière qu’avec le pardon des offenses ; il faut pardonner pour obtenir d’être pardonné (XI, 25). Il protège la femme contre la dureté de la répudiation, faite pour des esprits grossiers (X, 5). Enfin, et c’est là le trait dominant de sa physionomie, c’est aux malades qu’il va tout d’abord ; c’est pour eux en quelque sorte qu’il existe ; dans la maladie, il voit l’action de Satan, du grand ennemi de son Dieu et de son peuple, et la victoire sur la maladie, c’est la victoire sur Satan, c’est le signe que Dieu est là, prêt à guérir aussi et à sauver son peuple, « à qui ses péchés sont remis. » (3, 4, II, 5, etc.) Le soulagement qu’il apporte à ces malades, c’est la garantie des promesses de Dieu et de la « bonne nouvelle ; » toute sa foi, toutes ses espérances trouvent là leur justification, en même temps que sa charité jouit de son bienfait. Aussi l’évangile définit sa mission par ces deux choses : « Il allait prêchant dans les synagogues et chassant les démons. » (I, 39.) Et le livre des Actes dit à peu près de même : « Il a passé faisant du bien et apportant la guérison à tous ceux qui étaient sous la puissance du diable. » (X, 38.)[1].

Tout ce bien qu’il a fait, il l’a fait à la condition de souffrir et de mourir. Ici il faut suppléer à l’évangile. Dans l’évangile on n’aperçoit pas, jusqu’à la veille de son supplice, qu’il ait rencontré des obstacles sérieux ni soutenu des luttes pénibles. On a craint sans doute de réveiller le souvenir des griefs que les puissans avaient pu avoir contre lui. Mais nous devons croire que, de bonne heure, il a été menacé, et que les amertumes de ce qu’on appelle « la Passion » ont commencé pour lui bien avant la scène du Jardin des oliviers. Sa vie été un combat, sans bruit pourtant, je l’ai dit déjà, et sans violence, où il gardait l’attitude humble et patiente qui le plus souvent a été celle du Juif opprimé. Il n’en a pas moins été le martyr de son patriotisme et de son amour des misérables, et il a laissé le souvenir d’une existence toute d’élan et de dévoûment, terminée par une mort affreuse sur la croix ; souvenir assez touchant et assez profond pour qu’après sa mort quelques-uns aient dit : « Celui-là n’a-t-il pas été le Christ ? » et qu’une fois cela dit, on l’ait cru sans peine. Voilà Jésus tel que nous arrivons à le ressaisir, et on ne peut que l’aimer et le vénérer[2].

  1. Il ne faut pas traduire d’une manière absolue : « Il a passé faisant le bien ; » εὐεργετῶν se rattache à ἰώμενος ; et se rapporte également à πάντας τοὺς. Voyez IV, 9, où il est employé de même.
  2. Voltaire en a donné l’exemple. Dictionnaire philosophique, article Religion. — On voit assez que, lorsqu’il s’agit de conclure sur Jésus, je suis de l’avis de Voltaire et du XVIIIe siècle, et que parmi les penseurs de notre temps, je me range du côté de ceux qui ont repris la tradition de ce siècle et y sont restés fidèles.