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et nous apprenons d’ailleurs que c’était l’habitude des docteurs de se faire entretenir par des femmes et même de s’enrichir de leur bien. (Marc, XII, 41.) Jésus ne s’enrichissait pas ; il avait l’aversion de la richesse, et même de la propriété. Rien n’indique cependant qu’il appartînt à cette singulière communauté des Essènes ou Essées, dont j’ai suffisamment parlé ailleurs[1]. Mais il était dans le même courant d’idées qui s’était répandu en Judée alors, et qui avait produit les Essées.

L’évangile nous renseigne encore sur la forme de la prédication de Jésus ; c’était particulièrement la parabole[2]. « C’est l’habitude des Syriens, surtout de ceux de Palestine, de mêler à tous leurs discours des paraboles, et si le précepte simple ne grave pas assez la vérité dans l’esprit des auditeurs, de la leur faire sentir par des similitudes et des exemples[3]. » D’après ces paroles, on cherche d’abord la parabole dans la Bible, sans l’y trouver tout à fait. Le discours de Nathan à David (II Sam., XII), qui est ce qui s’en rapproche le plus, en diffère pourtant encore. La parabole évangélique peut se définir : un enseignement religieux, je dirai même théologique, exprimé par une image. L’image peut tenir dans une phrase (Marc, XIII, 28), comme elle peut aussi se développer en un récit étendu et dramatique. (Luc, XV, 11-32.)

L’enseignement bouddhique semble avoir créé cette parabole doctrinale. M. Renan a justement signalé, dans sa Vie de Jésus, les deux paraboles bouddhiques qu’on trouve aux chapitres III et IV du Lotus de la bonne loi[4]. Elles sont certainement à une bien grande distance, en tout sens, des paraboles des évangiles. La forme d’abord est exorbitante, comme elle est dans toute la littérature de l’Inde : chacune des deux paraboles tient de six à huit pages in-quarto des plus pleines ; rien n’y est dit qu’avec un procédé d’amplification perpétuelle. Le fond est de la subtilité la plus raffinée ; ce n’est pas un discours pour les simples, mais pour des moines nourris dans leur retraite de laborieuses méditations. Il faut une grande patience pour les lire. Et avec tout cela on ne les lit pas sans se dire que la causerie familière des Évangiles doit tenir par un lien qui nous échappe à ces vastes épanchemens du Bouddha, Il faut croire que quelque chose de la parabole bouddhique s’était infiltré insensiblement jusqu’en Judée.

Du reste, la parabole à la façon de l’évangile est encore une de ces choses qui, en Judée même, n’appartiennent pas seulement à

  1. Le Judaïsme, p. 473 et suivantes.
  2. Le grec παραϐολή, similitude, est la traduction d’un mot hébreu dont le sens paraît être moins précis.
  3. Hiéronyme (ou Jérôme), à propos de Matth., XVIII, 23.
  4. Traduit par Eugène Burnouf, 1852.