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qu’une pareille vie n’ait pas laissé de traces, et que l’impression n’en soit pas restée dans les récits qu’on a faits sur lui. Il ne se peut pas qu’il ne se retrouve quelque chose de lui dans les Évangiles. Comment le discerner ? où sont les traits vraiment originaux qui peuvent nous faire dire : Voilà Jésus ! Sans qu’il y ait un moyen sûr de les reconnaître, il est vrai pourtant que, si nous nous attachons de préférence au plus ancien évangile, le moins travaillé de tous, et si dans celui-là même nous élaguons, avec le surnaturel, les anachronismes trop visibles, nous nous rapprocherons autant que possible de la réalité. C’est ce que je vais essayer de faire.

VII.

Et d’abord Jésus est un inspiré ; c’est le trait dominant de sa physionomie ; il ne se conduit pas d’après la raison commune des autres hommes. Il voit ce que les autres hommes ne voient point, et sait ce, qu’ils ne savent point ; ce qu’il enseigne ne lui vient pas des hommes, mais du ciel (XI, 27). Il ne parle pas, comme les docteurs, d’après des textes et des traditions, mais « comme celui qui a puissance » (I, 21). Aussi il ne démontre pas, il ne persuade pas ; il commande. Il rencontre des pêcheurs au bord de la mer, il leur dit : « Suivez-moi, et je vous ferai pêcher des hommes, » et ils le suivent (I, 17). Il enlève en passant un publicain à son bureau de péage (II, 14). De tous côtés, on accourt à lui, comme à un personnage extraordinaire (I, 45). Il fait l’illusion d’avoir en lui quelque chose de surnaturel, et il semble qu’il a lui-même cette illusion ; il donne des ordres aux « esprits mauvais, » et ils obéissent (I, 27, etc.). Il communique cet empire à ceux qui s’attachent à lui (VI, 7). Tous le lui reconnaissent, et ses adversaires se rabattent à prétendre qu’il le tient du prince des démons (III, 22). Les gens croient en sentir l’influence rien qu’en touchant les franges de sa robe (VI, 56), et lui-même, une femme malade ayant touché son vêtement, « il a conscience d’une vertu qui est sortie de lui » (V, 30).

Jésus n’est pas un homme de doctrine, comme les scribes (γραμματεῖς), mais un homme de foi ; la foi est tout à ses yeux : « Tout est possible à celui qui croit. » (IX, 22.) — « Quoi que vous demandiez dans la prière, croyez que vous l’obtiendrez et que vous l’aurez. Et cela, quand vous diriez à la montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer. » (XI, 23.) Pour les inspirés, l’inspiration est ce qu’il y a de plus sacré, et aucun mal n’est comparable à celui de la méconnaître. Tous les péchés seront remis aux fils des hommes, et tous les blasphèmes ; « mais celui qui a blasphémé l’Esprit saint, il n’y a pas de rémission pour lui. » (III, 10.) Celui qui par ses discours