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contre lui avec les hérodiens pour le perdre. » Mais dans Matthieu, Jésus déploie contre les pharisiens une violence qui laisse des traces ineffaçables dans l’imagination du lecteur. Le chapitre XXIII n’est qu’un long et implacable anathème, où tous les traits concourent pour faire un portrait odieux. Les voilà avec leurs longues franges et leurs larges phylactères, ficelant des paquets énormes et trop lourds à porter, qu’ils mettent sur le dos des autres, tandis qu’ils ne remuent pas seulement pour les soulever le bout du doigt. Puis il les apostrophe : « Malheur à vous, parce que vous fermez aux hommes le royaume des deux! Vous n’y entrez pas et vous empêchez qu’on y entre. Malheur à vous, parce que vous courez la terre et la mer pour faire un prosélyte, et quand vous l’avez, vous en faites quelque chose de pire que vous[1] ! Vous passez le vin pour ne pas avaler l’insecte, mais vous avalez le chameau[2]. Malheur à vous, parce que vous ressemblez à des sépulcres blanchis qui brillent au dehors, tandis qu’au dedans ils sont remplis d’os de morts et de poussière ! Race de vipères ! comment pourriez-vous vous sauver d’être condamnés au feu[3] ? » Si Jésus traitait ainsi les pharisiens, il n’est pas étonnant qu’ils aient conspiré sa ruine.

Cependant on ne voit pas dans les Évangiles qu’ils aient pris aucune part aux poursuites contre Jésus, à sa condamnation ni à sa mort. Il n’y a que Jean qui le dise (XVIII, 3) ; ils ne sont pas nommés une seule fois dans le récit de la passion par Marc ou Luc[4]. Il y a même un passage dans Luc (XIII, 31) où les pharisiens semblent s’intéresser à Jésus et s’employer à le sauver. Mais c’est surtout le livre des Actes qui nous donne de grandes raisons de douter que les pharisiens aient été les ennemis de Jésus. Dans ce livre, en effet, c’est un pharisien, Gamaliel, le plus éminent de tous, qui dès les premiers jours qui suivent la mort de Jésus, prend la défense de Pierre et des apôtres devant le synédrion et empêche qu’on ne les tue (V, 34). Ailleurs il est dit qu’il y avait des pharisiens parmi les croyans (XV, 5). Ailleurs enfin Paul lui-même se recommande aux Juifs de Jérusalem comme disciple de Gamaliel (XXII, 3, et XXVI, 5) ; et il va une fois jusqu’à soutenir devant le synédrion qu’on ne lui en veut que parce qu’il est pharisien et fils de pharisien, et que comme tel il, croit à la résurrection des morts ; et il obtient ainsi, en effet, la protection des pharisiens contre le

  1. Mot à mot : Vous me faites un fils de la géhenne au double de vous.
  2. Cet insecte est le ϰώνωψ, qui s’engendre, dit Aristote, dans le vin aigri. (Περὶ ζώων, V, XIX, 12.)
  3. A la géhenne.
  4. Matthieu dit seulement qu’ils demandent à Pilatus de mettre une garde au tombeau.