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Un peu plus loin, quand il a été amené devant Pilatus, celui-ci lui dit à son tour : « Est-ce toi qui es le roi des Juifs?» (Le Christ ou le roi des Juifs, pour un Romain c’est la même chose.) Jésus répond : « C’est toi qui le dis. » Et, sans doute d’après cette réponse, on ajoute que Pilatus, quand il ordonne qu’on le mette en croix, fait écrire au-dessus de sa tête ces mots : « Le roi des Juifs, » comme exprimant le motif de sa condamnation.

Il n’y a rien de plus formel que ces déclarations de Jésus, surtout celle qu’il adresse au grand-prêtre; mais le récit lui-même est invraisemblable au plus haut degré. La question du grand-prêtre est absurde : il pouvait bien demander à Jésus : « Est-il vrai que tu prétends être le Christ? » il n’a pas pu lui dire : « Est-ce toi qui es le Christ? » La réponse n’est pas moins extraordinaire : jamais, dans aucun procès réel, un accusé n’a répondu à ses juges sur ce ton-là. Les derniers versets donnent une étrange idée de la police d’une audience du sanhédrin. Il est visible que toute cette narration a la naïveté enfantine d’une légende populaire, non le caractère d’une histoire sérieuse. Mais je prie qu’on fasse particulièrement attention à la manière dont est introduite la question du grand-prêtre. « C’est, dit le texte, qu’on cherchait en vain contre Jésus des témoignages et qu’on n’en trouvait pas. « C’est-à-dire qu’il ne se trouvait pas deux témoins qui vinssent déposer que Jésus se donnât pour être le Christ, et il a fallu le lui faire dire à lui-même. Il me semble qu’il n’en faut pas davantage pour conclure qu’en effet Jésus n’a jamais dit qu’il fût le Christ.

J’ose ajouter que non-seulement la manière dont on nous raconte la comparution de Jésus devant le synédrion est suspecte, mais encore que probablement Jésus n’a pas comparu devant le synédrion : c’est ce que j’expliquerai tout à l’heure. Je m’en tiens pour le moment à ce point, que Jésus ne s’est pas donné pour être le Christ.

Mais lorsqu’enfin cette croyance, que Jésus était le Christ, est devenue la foi de toute une église, il était inévitable qu’on supposât que la révélation de ce grand mystère lui était quelquefois échappée pendant sa vie. De là les passages que nous lisons aujourd’hui dans les Évangiles.