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un vaincu sous ses pas; — c’est Amphitrite, c’est Vulcain, pour ne nommer que ceux dont il a été possible d’établir l’identité. L’imagination des sculpteurs s’est donné libre carrière et a produit mille fantaisies étranges : un quadrige de chevaux marins à queues de poisson, des serpens luttant contre des aigles et leur mordant les serres, des femmes à la chevelure flottante qui brandissent des torches, des chiens furieux enfonçant leurs dents aiguës dans la chair des morts, un monstre marin, sorte de centaure de la mer, homme, cheval et poisson tout ensemble, des chevaux qui piétinent sur la poitrine des mourans. Ce prodigieux enchevêtrement d’hommes et d’animaux, ces monstres s’agitant dans les spasmes de l’agonie, ces belles déesses au sein nu bravant, invulnérables, les attaques des Titans, rappellent la fougue des compositions guerrières de Rubens : tout est agité, passionné, vigoureux. Il semble qu’une fantaisie toute-puissante, arrêtant tout à coup les combattans au fort de la lutte, les ait pétrifiés brusquement.

La Gigantomachie n’était pas le seul bas-relief qui ornât l’autel de Pergame. On a trouvé dans les décombres une autre série de plaques sculptées, hautes d’un mètre et demi seulement, où l’on a reconnu des scènes empruntées à la légende de Télèphe. Ce héros était, on se le rappelle, un des fondateurs mythiques de Pergame. Les bas-reliefs destinés à perpétuer son souvenir semblent avoir été placés sous la galerie ionique qui surmontait le soubassement de l’autel. Ils étaient tournés vers l’intérieur, contrairement à la Gigantomachie. Télèphe avait essayé de défendre l’Asie contre les Grecs allant assiéger Troie, et dans un combat il avait été blessé à la jambe par Achille lui-même. Un oracle lui fit connaître que sa blessure ne pourrait être guérie qu’à l’aide de l’arme même qui l’avait faite. Il s’agissait donc de s’emparer de la lance d’Achille ; désespérant d’y parvenir, Télèphe se glissa pendant la nuit dans la tente d’Agamemnon, enleva le jeune Oreste et, en menaçant de le tuer, il se fit donner de la rouille provenant du fer qui l’avait blessé, et grâce à ce remède la plaie guérit. Un des plus beaux morceaux conservés représente précisément Télèphe emmenant chez lui le jeune fils d’Agamemnon : l’enfant se retourne en lançant un regard suppliant sur son ravisseur, qui les poings fermés le chasse brutalement devant lui. On a retrouvé trente-cinq morceaux, appartenant à la même série et dont plusieurs ont pu être interprétés, sans laisser trop de place à l’hypothèse. Mais quel qu’en soit le mérite artistique, ils sont bien inférieurs, comme composition et comme exécution, au combat des géans contre les dieux.

L’autel même de Jupiter, c’est-à-dire le cippe sur lequel on immolait