Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/568

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
I.

Le nom de Pergame est commun à plusieurs localités du monde grec. En Asie-Mineure, il rappelle le souvenir de la citadelle de Troie, plutôt que la ville dont nous voulons parler. Mais entre ces deux Pergames, il y a du moins cette différence que l’on ne sait guère où placer la première, tandis que nul ne peut mettre en doute l’identité de la seconde. Il n’y a qu’un homme au monde qui soit sûr de l’emplacement de Troie : c’est M. Schliemann. Dans cette malheureuse Troade, les ruines même ont péri, comme disait le poète Lucain : les noms sont oubliés, les fleuves se sont déplacés, les golfes se sont comblés, et la topographie ne peut plus se refaire qu’à l’aide d’une vigoureuse imagination. Il n’en est pas ainsi de notre Pergame : en dépit des invasions successives des Galates, des Romains, des Byzantins, des Turcs, elle a conservé jusqu’à nos jours le nom qu’elle reçut dès l’origine. Bergama est encore aujourd’hui une ville de vingt mille âmes.

Au nord du golfe de Smyrne, la côte de l’Eolide forme une baie peu fréquentée des navigateurs, où, presque en face de l’île de Lesbos, les eaux du Caïque viennent se joindre à celles de la mer. La petite ville d’Élée était autrefois assise à l’embouchure du fleuve. La place en est encore marquée par des blocs de marbre, des débris de statues et de colonnes, épars dans les marais fiévreux du rivage. Élée, dans l’antiquité, était le port de Pergame : elle a été remplacée dans ce rôle par le bourg de Diceli, situé un peu plus au nord. C’est là que l’on débarque pour atteindre la ville des Attales, située à 7 lieues environ dans l’intérieur des terres. La vallée du Caïque, large près de la mer, se rétrécit à mesure qu’on s’en éloigne, et les montagnes qui l’enserrent à droite et à gauche deviennent plus hautes et plus abruptes. Le pays a cet aspect, tranquille, poétique, et un peu triste, qui caractérise toute cette partie de l’Asie-Mineure : de jolis cyclamens aux pétales d’améthyste fleurissent au bord du chemin; des oliviers, des poiriers sauvages, des grenadiers garnissent les pentes inférieures des montagnes dont les plus hauts escarpemens sont d’un roc mat et blanchâtre. Le calme de la nature n’est troublé que par les caravanes qui traversent le pays. Les chameaux s’avancent en longue file, à pas comptés, précédés d’un petit âne, sur lequel chevauche un Turc en caftan noir, le chef surmonté d’un énorme turban. A la queue du baudet est attachée la bride du premier chameau, à la queue du premier chameau le licol du second, et ainsi de suite. Le soir toute la bande s’arrête et bivouaque en plein air autour d’un grand feu. Durant le jour, on