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— Il n’a qu’à se pousser et à jouer des coudes pour prendre son billet « dans cette immense loterie de fortunes populaires, d’avancemens sans titres, de succès sans talens, d’apothéoses sans vertus, d’emplois infinis distribués par le peuple en masse et reçus par le peuple en détail, » — Tous les charlatans politiques y sont accourus, au premier rang ceux qui, étant sincères, croient à la vertu de leur drogue, et ont besoin du pouvoir pour imposer leur recette au public. Puisqu’ils sont des sauveurs, toutes les places leur sont dues, et notamment les plus hautes. Par conscience et philanthropie, ils les assiègent : au besoin, ils les prendront d’assaut, ils les garderont de force, et, de gré ou de force, ils administreront leur panacée au genre humain.


III.

Ce sont là nos jacobins : ils naissent dans la décomposition sociale, ainsi que des champignons dans un terreau qui fermente. Considérons leur structure intime : ils en ont une, comme autrefois les puritains, et il n’y a qu’à suivre leur dogme à fond, comme une sonde, pour descendre en eux jusqu’à la couche psychologique où l’équilibre normal des facultés et des sentimens s’est renversé.

Lorsqu’un homme d’état qui n’est pas tout à fait indigne de ce grand nom rencontre sur son chemin un principe abstrait, par exemple celui de la souveraineté du peuple, s’il l’admet, c’est, comme tout principe, sous bénéfice d’inventaire. A cet effet, il commence par se le figurer tout appliqué et en exercice. Pour cela, d’après tous ses souvenirs propres et d’après tous les renseignemens qu’il peut rassembler, il imagine tel village, tel bourg, telle ville moyenne, au nord, au sud, au centre du pays pour lequel il fait des lois. Puis, du mieux qu’il peut, il se figure les habitans en train d’agir d’après le principe, c’est-à-dire votant, montant leur garde, percevant leurs impôts et gérant leurs affaires. De ces dix ou douze groupes qu’il a pratiqués et qu’il prend pour spécimens, il conclut par analogie aux autres et à tout le territoire. Évidemment, l’opération est difficile et chanceuse : pour être à peu près exacte, elle requiert un rare talent d’observation et, à chacun de ses pas, un tact exquis ; car il s’agir de calculer juste avec des quantités imparfaitement perçues et imparfaitement notées[1].

  1. Avant de décider une mesure, Fox s’informait au préalable de ce qu’en pensait M. H.., député des plus médiocres et même des plus bornés. Comme on s’en étonnait, il répondit que M. H... était, à ses yeux, le type le plus exact des facultés et des préjugés d’un country-gentleman et qu’il se servait de lui comme d’un thermomètre. — De même. Napoléon disait qu’avant de faire une loi considérable, il imaginait l’impression qu’elle produirait sur un gros paysan.