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puisse être annulé que par un consentement mutuel ou par l’infidélité d’une des deux parties. » Quel qu’il soit et quoi qu’il fasse, nous ne sommes tenus à rien envers lui, il est tenu à tout envers nous; nous sommes toujours libres « de modifier, limiter, reprendre, quand il nous plaira, le pouvoir dont nous l’avons fait dépositaire. » Par un titre de propriété primordiale et inaliénable, la chose publique est à nous, à nous seuls, et, si nous la remettons entre ses mains, c’est à la façon des rois qui délèguent provisoirement leur autorité à un ministre : celui-ci est toujours tenté d’abuser; à nous de le surveiller, de l’avertir, de le gourmander, de le réprimer, et, au besoin, de le chasser. Surtout, prenons garde aux ruses et aux manœuvres par lesquelles, sous prétexte de tranquillité publique, il voudrait nous lier les mains. Une loi supérieure à toutes les lois qu’il pourra fabriquer lui interdit de porter atteinte à notre souveraineté, et il y porte atteinte lorsqu’il entreprend d’en prévenir, gêner ou empêcher l’exercice. L’assemblée, même constituante, usurpa quand elle traite le peuple en roi fainéant, quand elle le soumet à des lois qu’il n’a pas ratifiées, quand elle ne lui permet d’agir que par ses mandataires; il faut qu’il puisse agir lui-même et directement, s’assembler, délibérer sur les affaires publiques, discuter, contrôler, blâmer les actes de ses élus, peser sur eux par ses motions, redresser leurs erreurs par son bon sens, suppléer à leur mollesse par son énergie, mettre la main avec eux au gouvernail, parfois les en écarter, les jeter violemment pardessus le bord, et sauver le navire qu’ils conduisent sur un écueil.

Effectivement, telle est la doctrine du parti populaire; au 14 juillet 1789, aux 5 et 6 octobre, il l’a mise en pratique, et dans les clubs, dans les journaux, dans l’assemblée, Loustalot, Camille Desmoulins, Fréron, Danton, Marat, Pétion, Robespierre, ne cessent point de la proclamer. Selon eux, local ou central, partout le gouvernement empiète. A quoi nous sert-il d’avoir renversé un despotisme si nous en instituons un autre? Nous ne subissons plus l’aristocratie des privilégiés, mais nous subissons « l’aristocratie de nos mandataires[1]. » A Paris déjà, « le corps des citoyens n’est plus rien, la municipalité est tout. » Elle attente à nos droits imprescriptibles quand elle refuse à un district la faculté de révoquer à volonté les cinq élus qui le représentent à l’Hôtel de Ville,

  1. Buchez et Roux, III, 324, article de Loustalot, 8 novembre 1789. — Ib., 331. Motion du district des Cordeliers, préside par Danton. — Ib., 239. Dénonciation de Marat contre la municipalité. — V, 128; VI, 24-41 (mars 1790). La majorité des districts réclame la permanence des assemblées d’électeurs, c’est-à-dire des assemblées politiques souveraines.