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équivalait à l’interdiction. Tel qui le matin avait été salué par le poste allemand chargé de viser les permis imposés se voyait le soir refuser le passage, et rentrait dans Paris sans argent, sans vivres, pour réclamer l’assistance et le laissez-passer de la préfecture impuissante. Par chaque courrier, plus de trois mille demandes de ces laissez-passer se produisaient devant le préfet ; on était obligé, pour éviter les pertes de temps et les encombremens, de répondre par la poste à tout Paris désireux de sortir; or, à ces demandes s’ajoutèrent les justes réclamations de la population de la banlieue et des départemens voisins. Des enfans, des femmes, des vieillards, quelques jeunes hommes étaient subitement transformés en habitans forcés de la capitale. Chaque jour, l’agitation causée par cette situation grandissait; car, de moment en moment, entraient de nouveaux visiteurs, et personne ne pouvait sortir sans les formalités que la consigne allemande se plaisait à exagérer. Le général Vinoy, sur cet exposé des difficultés qu’il appréciait à leur valeur, m’engagea à voir le chancelier et me donna pour m’assister à Versailles, en qualité d’officier parlementaire, l’un de ses aides de camp, M. le comte d’Armaillé. Nous partîmes ensemble. Arrivés au pont de Sèvres, qu’on ne réparait pas encore, il fallut de nouveau traverser la Seine. Rien n’était changé ; les barricades des Prussiens étaient debout. Derrière elles m’attendait une petite et inévitable difficulté. Les soldats allemands nous avaient entourés à la descente du bateau et leurs officiers déclaraient qu’ils étaient prêts à nous conduire à Versailles; mais il fallait faire la route pédestrement; on n’avait à notre disposition aucune voiture. Sur des observations, un officier supérieur se présenta et, avec un empressement poli, me déclara qu’arrivant de Versailles pour passer une inspection, il pouvait m’offrir pour quelques heures son équipage, dont il reprendrait possession à mon retour. Après des remercîmens que je complétai par une largesse envers le soldat cocher, nous partîmes pour Versailles. Sur la route, l’aspect général était resté aussi celui du premier voyage. Le nombre des troupes n’avait pas diminué; au contraire, des casques et des uniformes nouveaux, ou plus propres ou plus neufs, se croisaient dans tous les sens, comme si un corps d’armée s’ajoutait à celui qui paraissait avoir posé et occupé ses camps depuis un long temps.

En arrivant rue de Provence, je fus introduit avec le comte d’Armaillé dans le salon que j’ai décrit ; l’officier auquel je m’étais nommé s’empressa de me dire qu’il allait prévenir le chancelier. Il était à peine sorti que nous entendions dans le vestibule une rumeur accompagnée d’éclats de voix et suivie du roulement d’une voiture ; la porte se rouvrait ensuite et nous nous trouvions en face de l’un des chefs de la chancellerie, avec lequel avait été