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qu’en apparence ; il me concéda le droit de faire seul la police, par des agens armés et en tenue militaire, en face des Prussiens.

Le moment était venu, à la suite de ces deux explications, d’aborder le véritable objet de ma présence à Versailles. J’ajoutai donc, après que Favre eut échangé quelques paroles avec le chancelier, que je désirais trouver dans ma visite rue de Provence l’occasion de régler des questions relatives à l’entrée des vivres, dont l’armistice autorisait et promettait l’introduction dans Paris. « Cela ne me regarde pas, me répondit le chancelier ; mais vous avez raison, et ce sujet est très important. Vous devez vous entendre avec l’intendance de l’armée allemande, et je vais vous aider à la voir. » Qu’on appelle, dit M. de Bismarck en se tournant vers un membre de sa suite, qu’on appelle M. le comte de Bismarck. » Le fonctionnaire interpellé sortit et rentra presque aussitôt en annonçant M. le comte de Bismarck; celui-ci, en grande tenue militaire, s’inclinait avec tous les signes du respect. Le chancelier lui parla en allemand et, se tournant vers moi, il reprit : — «M. de Bismarck va voir de suite si le général Stock, chef de l’intendance de l’armée, peut avoir l’honneur de conférer avec vous. »

Enfin ! j’avais fini, je l’espérais du moins. Peut-être avais-je caché l’objet principal de ma présence ! Dans tous les cas, il me semblait que je n’avais pas dévoilé le secret complet de nos cruelles préoccupations. Le chancelier, après avoir engagé une conversation avec Favre qui devait s’enfermer longuement avec lui, avait abordé auprès de M. *** et de M.*** des questions postales et télégraphiques pour lesquelles on appelait immédiatement les chefs des services prussiens; bientôt au milieu de cet entretien, la porte se rouvrit. De nouveau fut annoncé M. le comte de Bismarck, qui s’adressait en allemand au chancelier. « Le général Stock est chez lui ; il attend l’honneur de votre visite. — Monsieur le préfet de police, me dit le chancelier, si vous voulez bien y consentir, M. de Bismarck, que je vous présente, aura l’avantage de vous conduire à son hôtel et de vous accréditer auprès de sa personne. » Je m’inclinai sans répondre et je fis un pas pour suivre l’officier qui m’était désigné. Mais le chancelier m’arrêta encore. « Ah! monsieur le préfet de police, dit-il en me touchant le bras, vous me ferez, ainsi que ces messieurs, le grand honneur de dîner avec nous? »

Je me sentis pâlir ; rien n’avait pu me faire prévoir une invitation de ce genre. Devais-je accepter la table de l’ennemi? peut-être gêner les intentions de Favre ? Ces réflexions ne prolongèrent pas mon hésitation, et je répondis en saluant : « Votre Excellence voudra bien me permettre de décliner l’honneur qu’elle