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I.

Peu de jours après l’armistice, le gouvernement de la défense nationale, convoqué durant la nuit, s’était réuni dès le matin au ministère des affaires étrangères. J’appris ce conseil en ouvrant les dépêches, et après une rapide expédition des ordres quotidiens, je me rendis à l’appel spécial du vice-président du gouvernement. A mon entrée chez Jules Favre, la délibération était terminée; chaque membre du conseil, debout, portait au ministre des affaires étrangères, obligé de retourner à Versailles, un dernier mot d’affectueux encouragement. Jules Favre en avait besoin; courbé par la fatigue, pâli par les émotions, les yeux plus profondément caves, triste, mais, comme toujours, attentif avec chacun, il se détacha tout à coup d’un dernier groupe pour me dire à voix basse: « Restez; laissez partir ; j’ai besoin de vous. » La porte du salon se fermant une dernière fois, il revint à moi et ajouta : « Je vais à Versailles; vous y venez avec moi. »

Rien n’avait pu me faire prévoir cet ordre. Je déclarai mon étonnement; on m’attendait à la préfecture; je n’étais pas prêt pour un déplacement; mon habit même n’était pas convenable; que pourrais-je faire à Versailles? « Venez, venez, me répondit Favre; je vous expliquerai mes intentions et votre utilité. Nous n’avons pas une minute à perdre pour être exacts. »

À ce moment, un officier d’état-major, M. Irisson d’Hérisson, entrait dans le salon du conseil et annonçait que les voitures attendaient l’ordre de départ. Il était accompagné du directeur-général des postes et du directeur des lignes télégraphiques. Favre pria ces chefs de service de monter avec le capitaine dans l’une des voitures; il avait besoin de causer avec le préfet de police. Puis, me prenant le bras, il me fit entrer dans un coupé qui partit en précédant nos compagnons d’expédition. Nous suivîmes le quai des Invalides pour le quitter au pont d’Iéna et monter la rive droite.

« J’ai besoin de vous, me dit Favre ; vous m’inspirez une confiance absolue, et mon affection ne me trompe pas. A Versailles, à côté de moi, il faut un autre représentant des intérêts de la paix. Je ne puis suffire seul aux questions si nombreuses et si graves que soulèvent l’armistice et ses multiples conditions; les détails m’éloigneraient des points décisifs; cependant tous sont sérieux et plusieurs d’une grande importance pour Paris et la France. » Puis, continuant avec un geste plein de noblesse : « Afin de les traiter, j’avais demandé un soldat; le gouvernement m’a donné le général ***.