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poursuivent la campagne engagée en faveur du scrutin de liste; de l’autre côté sont tous ceux qui prétendent que demander à M. le président de la république et à la chambre l’abandon du scrutin d’arrondissement, c’est leur demander de renier l’origine de leurs pouvoirs, que ce serait changer sans nécessité un régime électoral qui a produit la situation actuelle, les deux scrutins républicains de 1876 1877, et se livrer à l’inconnu. Le point noir ou obscur dans la réforme nouvelle, en effet, c’est ce défi à l’inconnu, cette grande aventure électorale tentée pour obtenir du pays quelque manifestation mal définie, pour avoir une majorité mieux disciplinée, mieux disposée à soutenir des desseins qu’on ne dit pas. Le scrutin de liste par lui-même a sans doute des avantages ; il peut imprimer aux élections un caractère plus politique en dégageant le vote demandé au pays des influences locales et personnelles qui en atténuent souvent la signification. C’est assurément dans les intentions les meilleures que ce retour à un mode de suffrage plus d’une fois éprouvé a été conçu et proposé. L’inconvénient du système aujourd’hui est d’avoir pour ainsi dire changé de sens en chemin, de s’être compliqué de toute sorte d’élémens équivoques, de ressembler, contrairement à la pensée du premier promoteur, à un expédient de domination, de préparer un déplacement dans les rapports des pouvoirs, dans les conditions de stabilité constitutionnelle. Et qu’on voie bien comment les conséquences s’enchaînent. Une fois la brèche ouverte, tout le monde veut essayer d’y passer. Les uns se bornent à la révision de la loi électorale, les autres vont aussitôt jusqu’à la révision de la constitution, — et sur un point du moins ceux-ci ne laissent pas d’être jusqu’à un certain degré assez logiques. Si on change le système d’élection de la chambre des députés dans l’intention avouée de relever cette assemblée en lui donnant une force nouvelle, une autorité plus irrésistible, pourquoi ne changerait-on pas dans le même esprit le mode de formation du sénat, ne fût-ce que pour rétablir l’équilibre? Les propositions de révision constitutionnelle ont peu de chance d’être admises pour le moment, c’est possible, c’est vraisemblable. La révision électorale, engagée comme elle l’est, risque de conduire aux mêmes résultats, en commençant par mettre un certain désarroi un peu partout pour aboutir à un grand imprévu, sans autre garantie que la volonté d’un homme qui semble confondre le régime parlementaire avec sa propre prépondérance, qui touche à ce point où il ne peut ni triompher ni échouer sans quelque danger. La situation devient étrange, nous en convenons; elle est justement la suite de ces confusions d’idées, de cette inconsistance des choses, de ces équivoques et de ces impatiences de changement qui ne sont pas assurément les conditions les meilleures pour des réformes vraies, réellement utiles au pays.

Le malheur en tout, cela, c’est qu’il y a eu dans ces dernières années un moment où l’équilibre a été rompu, où la direction des choses s’est