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et dont on cherche à voir les qualités sous le jour le plus favorable, il faut passer par-dessus la singularité du titre, un peu prétentieuse, et lire : Fraîche comme une rose. C’est aussi le roman d’une jeune fille et l’histoire d’un mariage manqué, je veux dire qui manque deux fois, mais qui finit par se conclure. J’aime mieux es dénoûment. Se marier, c’est moins poétique, moins romanesque, moins romantique assurément que de mourir phtisique dans « la haute et froide vallée de l’Engadine, » mais là où l’observation ne fait que se jouer, pour ainsi dire, à fleur de peau, là où l’on glisse, comme dans les romans de miss Rhoda Broughton, sans jamais appuyer bien profondément, là enfin où l’on conte une histoire plutôt que l’on ne construit une œuvre, je n’aime pas qu’au moment où je commençais de prendre un vif intérêt à leur sort, on vienne ainsi méchamment me tuer mes personnages. J’ai donc été très aise de voir Esther Craven épouser Saint-John Gerard.

Elle est d’ailleurs très finement contée, cette histoire, et délicatement esquissé, ce caractère de jeune fille. Coquette elle aussi, comme Lénore Herrick, mais coquette naïve, et presque sans le savoir, non plus par besoin de dominer, mais au contraire par besoin d’être aimée, de se sentir entourée d’affections attentives, d’une protection toujours présente, et d’un amour toujours vigilant. Orpheline, vivant avec son frère dans une modeste ferme du pays de Galles, Esther Craven est adorée de Robert Brandon, qu’elle n’aime pas, mais à qui cependant elle s’engage, parce qu’il l’aime, parce qu’il est bon, parce qu’il est importun surtout, le pauvre et honnête Bob, et quoiqu’il ait des « souliers bien mal faits. » Un jour, d’anciens amis de son père, qui par hasard se sont souvenus d’elle, invitent la jeune fille à venir passer quelque temps auprès d’eux à la campagne. Sir Thomas et lady Gerard ont une pupille, miss Constance Blessington, et un fils qu’on appelle Saint-John! Un bien joli nom! ne peut s’empêcher de penser Esther, un nom bien plus joli que Bob. Et la voilà toute prête à se faire aimer de Saint-John, d’autant plus que, dans ce vieux château, sir Thomas est toujours en colère, lady Gerard toujours somnolente, miss Blessington imperturbablement correcte et glaciale. Elle réussit. Son malheur veut seulement qu’en s’engageant à Saint-John, elle n’ait oublié que de parler de Bob, et le jour où Saint-John, averti par la très froide, mais très jalouse miss Blessington, l’interroge à ce sujet, il s’ensuit une rupture et le naufrage des espérances d’Esther.

Ce qui est original ici, c’est le détail, que malheureusement nous sommes obligé de supprimer, c’est surtout la prise douloureuse que ces aventures quotidiennes, banales, vulgaires exercent pourtant sur l’imagination du lecteur. Cela tient à ce que l’auteur, non sans art, a placé toutes ses héroïnes dans cet âge intermédiaire, encore si voisin de l’enfance, où la jeunesse reçoit la première et dure leçon de l’expérience