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Je ne répondrais pas qu’il ne fût assez facile, trop facile de signaler le même défaut dans Adieu les amoureux ! à savoir, la même soudaine déviation dans le dessin des caractères. Mais, après tout, puisqu’il échappe à la lecture et qu’on ne l’aperçoit qu’à la réflexion, passons, et disons que le roman est des plus courts, des plus vifs, des plus serrés que nous connaissions parmi les romans anglais.

Une jeune fille, miss Lénore Herrick, orpheline dès l’enfance, impérieuse, fantasque, audacieuse, s’éprend, non pas d’un jeune homme, — les jeunes hommes sont d’ordinaire mal partagés, mal traités, assez insignifians, quand ils ne sont pas ridicules, de pauvres sires, dans les romans de miss Rhoda Broughton, — mais d’un homme dont le caractère, façonné par une expérience déjà longue, est aussi volontaire, dominateur et absolu que le sien. Elle l’amène pourtant, de coquetteries en coquetteries, et malgré qu’il en ait, à l’amour. De la rencontre, ou plutôt du choc de ces deux caractères, l’un et l’autre dominés par une passion profonde, mais incapables également de se plier aux exigences l’un de l’autre, jaillissent naturellement des défiances, des soupçons, des colères, des outrages. Vous diriez de ces deux amoureux qu’ils se haïssent encore plus qu’ils ne s’aiment, qu’ils éprouvent plus d’humiliation d’aimer que de plaisir d’être aimés, et que leur orgueil à tous deux résiste contre cette fatale abdication de la personne et cette dépossession du moi par où cependant il faut bien que tout amour humain se termine. On retrouve des traits de cette curieuse manière d’aimer dans Joanna, mais surtout dans le Roman de Gilliane. C’est comme une marque où l’on reconnaît les romans de miss Rhoda Broughton. A la vérité, c’est devenu, dans le Roman de Gilliane, et même un peu déjà dans Joanna, ce qu’on appelle procédé, mais à l’origine, et dans Adieu les amoureux! c’était trouvaille et c’était invention. J’achève en quatre lignes une sèche analyse du roman : car je ne voudrais détourner personne du plaisir de le lire. Les coquetteries de Lénore irritent son fiancé jusqu’à l’offense. Ils rompent et se séparent pour ne plus se rencontrer qu’une fois, par hasard, au cours d’un voyage en Suisse, et se dire l’éternel adieu, Lénore avant de mourir et l’amant avant de devenir l’heureux époux d’une petite cousine, moins séduisante, mais moins coquette et plus soumise, probablement, que sa fiancée d’autrefois. La morale, je pense, est assez claire; un prédicateur ne la déduirait pas mieux : jeunes filles, ne soyez point trop coquettes, et vous souvenez que la parfaite épouse anglaise doit obéir à son mari.

S’il ne s’agit, quand on ouvre un roman pour le lire, que de perdre une heure ou deux assez agréablement, il est bien possible que l’on voie dans Adieu les amoureux! le meilleur des romans qu’ait donnés jusqu’ici miss Rhoda Broughton. Mais si c’est l’auteur à qui l’on s’intéresse