Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

monde et profitable dans l’autre, — d’abaisser l’orgueil de leur cœur charnel, de terrasser le démon et de glorifier Dieu. Ce sont, je crois, quelques-unes de leurs expressions favorites.

Les mérites ordinaires d’un bon roman anglais, on les connaît, et le compte en est réglé depuis longtemps.

Les romans anglais sont honnêtes, d’abord, et sans vouloir ici faire aucune confusion de la morale et de l’art, j’ose avancer ce paradoxe que, dans le temps où nous sommes, c’est peut-être quelque chose, pas grand’chose, mais pourtant quelque chose. La lecture des romans anglais, en général, repose, apaise, console, et même quelquefois fortifie. On dit, à la vérité, que les romans de miss Rhoda Broughton auraient fait un peu scandale et tranché sur l’uniformité des productions édifiantes par l’audace des situations et la liberté du langage. Mais j’ai quelque peine à le croire. Car il faudrait alors que la lecture des Soirées de Médan m’eût étrangement corrompu le goût et perverti le sens moral. L’une des héroïnes de miss Rhoda Broughton, quelque part, en frappant du pied, traite le mot « convenable, » de petit, de lâche, et de servile. Elle a tort, j’y consens, mais puisqu’elle est en colère! Une autre, dans un autre roman, émet cet aphorisme que « le mariage décidément est une chose haïssable. » Il est évident qu’elle se trompe. Mais puisqu’elle n’en finit pas moins par être heureuse en ménage, et même, au dénoûment, puisqu’on la voit descendre « la pente de la vie, l’œil fixé sur ce Dieu redouté, mais bon, que l’on discerne à travers le voile de ses œuvres magnifiques! » est-ce là de quoi choquer, ou seulement effaroucher, le plus austère puritanisme? mais non pas même quand ailleurs on aurait habillé plaisamment quelque homme d’église et traité le recteur de Plass-Berwynn d’imbécile, sans plus de façons? A moins qu’il ne fût réglé, comme le prétendait un jour Macaulay, que la morale anglaise, tous les six ou sept ans, doit devenir féroce, et la vertu britannique éprouver le besoin de se rassurer sur elle-même en opposant sa raideur à la facilité de nos mœurs continentales? Il résultera donc de là que les romans de miss Rhoda Broughton ne sont pas un prêche perpétuel, comme ceux de miss Yonge, par exemple, ni même, si vous le voulez, ce qu’on appelle une morale en action. Au surplus, soyez certains qu’ils contiennent tout autant de sermons qu’un lecteur français en puisse raisonnablement supporter. Il y a de bien jolis détails dans Joanna, et cependant, déjà, la matière d’édification y tient une si large place, — comme si l’auteur eût jugé qu’il était temps enfin pour elle de cesser de scandaliser ses respectables compatriotes, — qu’il est à craindre que tout le monde, en France, n’ait pas la patience d’aller jusqu’au bout du récit.

Un autre mérite, et bien souvent loué, des romans anglais, c’est la fidélité scrupuleuse et aussi l’habileté rare avec laquelle ils rendent