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embarcations ordinaires qu’à d’assez rares intervalles. Aussi les bateaux du pays faits exprès pour franchir la barre servaient aux communications dès que le trajet devenait dangereux pour les canots. Or un nouveau capitaine de port, nommé par Mexico et arrivé récemment de Vera-Cruz, M. Godinez, notoirement connu comme ennemi des Français, s’était empressé de mettre toutes les entraves possibles dans le service du port, avait défendu aux bateaux la communication avec la rade et supprimé la correspondance entre le stationnaire et Bagdad. Les embarcations du pays étant déjà quelquefois paralysées par le mauvais temps, les nôtres devaient l’être bien davantage. Enfin le temps était affreux; le Tartare allait revenir éreinté de Nautla, l’Adonis et la Tisiphone fatiguaient beaucoup. Nos bâtimens n’étaient pas assez puissans pour le service d’hiver sur cette côte.

Il y avait, pour surveiller cette inquiétante situation, un homme énergique et sincère dont les manœuvres des Américains faisaient bouillir le sang: c’était le commandant Collet, de la Tisiphone, D’après les instructions qu’il avait reçues et qui étaient la copie d’une dépêche confidentielle du maréchal du 28 août, il était d’avis que, si le général Sheridan prêtait nettement son appui aux libéraux, le canon français devait lui répondre. Il ne remarquait pas, dans son état d’irritation morale, que les termes assez nets de la dépêche étaient singulièrement atténués par un post-scriptum écrit de la main du maréchal. Ce paragraphe disait que la flibusterie ne nous regardait pas d’une manière directe et que nous ne devions faire sentir notre action au nom de la France qu’après avoir protesté s’il y avait lieu. De plus, le commandant Collet ne devait pas oublier dans quels redoutables embarras il entraînerait ainsi son pays sans aucune espérance de retraite et sans laisser à l’empereur la moindre porte de sortie. Les conséquences d’une résolution violente du commandant de la Tisiphone étaient si graves, que le commandant Cloué intervint de ses conseils. Il lui dit qu’il le croyait autorisé, sans nul doute, à rendre coup pour coup, mais que, si on ne s’attaquait pas à lui, tout en agissant contre nos alliés les Mexicains, il ne le jugeait obligé qu’à protester et à venir aussitôt à la Vera-Cruz rendre compte à son chef direct de la tournure que prenaient les événemens.

Ces conseils, qu’on les écoutât ou qu’on les négligeât, arrivaient à leur heure. Les régimens noirs américains, suivis de Cortina, d’Escobedo et de leurs partisans, venaient de prendre Bagdad. Ces régimens, accompagnés de leurs officiers, ce qui n’avait pas lieu de surprendre, car c’étaient tous aventuriers et gens sans aveu, d’une indiscipline notoire, avaient subitement envahi Bagdad, pendant