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ordre, dès que cela serait le boa plaisir du général Sheridan. En revanche, sur la frontière, le Mexique manquait de tout. Il n’avait même pas comme barrière fictive la délimitation possible des eaux du fleuve, à leur milieu, en américaines et mexicaines, car les tournans du Rio-Grande forcent les navires à longer l’une et l’autre rive. Le plus important eût été de se tenir, au moins par la mer, en communication avec Bagdad, qui était le meilleur point de débarquement. Or il eût fallu pour cela au moins quatre bateaux de rivière armés comme l’Antonia, et on ne les avait pas. L’ennemi le savait bien, et de peur qu’on ne se les procurât, il tentait la nuit de faire passer du côté américain tout le matériel flottant. Un canot portait du Texas une corde sur un bateau amarré au Mexique, puis on le halait au Texas, où il était mis sous le séquestre de la douane américaine de Clarksville, comme prise faite par les libéraux. Les quelques bateaux dont on disposait au besoin se louaient à des prix si exorbitans que les propriétaires gagnaient la valeur du navire en moins d’un mois. Ce n’eût encore rien été, mais il y avait à craindre que ces vapeurs ne prissent le pavillon américain, ce qui eût interdit de s’en servir davantage. Ce fut ce qui leur arriva bientôt à l’exception de l’Antonia. Dès lors, non-seulement Matamoros ne pouvait plus expédier ni recevoir ses marchandises, mais les bateaux de la rive texienne refusaient même de lui porter ses lettres. Quand l’Antonia aurait imité les autres vapeurs, il n’y aurait plus aucun moyen d’envoyer de Bagdad des renforts à Matamoros. On pouvait prévoir cette éventualité, car l’Antonia, qui, outre ses hommes avait reçu les équipages de l’Alamo et de la Camargo, se trouvait armée par les matelots de l’Adonis et de la Tisiphone, ce qui paralysait ces deux bâtimens. Il devenait donc urgent de réclamer nos marins; mais le général Mejia se disait trop faible, refusait. Il ne manquait point de raisons. La ville était peu sûre. On remarquait que tous les anciens confédérés réfugiés, qui semblaient autrefois le plus ennemis des fédéraux, avaient demandé et obtenu leur pardon et étaient tous contre nous. De plus, les colonnes françaises qui se dirigeaient vers Matamoros, s’étant arrêtées aux environs de Monterey et de Saltillo, les libéraux s’étaient reformés et se préparaient à une nouvelle attaque. Pris entre eux et les Américains, n’ayant reçu pour tout renfort que trois cent quinze Mexicains déguenillés qu’il lui faudrait plutôt garder qu’ils ne garderaient Matamoros, le général Mejia se décourageait et se prétendait abandonné. L’administration mexicaine ajoutait à ces difficultés par son ineptie et sa mauvaise foi. Les débarquemens à Bagdad, les communications entre les navires de guerre et la côte devenaient presque impossibles. En effet, la barre du Rio-Grande est tellement mauvaise qu’on ne peut la franchir sans trop de danger avec les