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de l’archipel et d’assurer la prédominance des États-Unis aux îles Sandwich, elle n’eût pu adopter une mesure d’une réussite plus prompte et plus infaillible. En peu d’années, la mortalité fît des progrès tels que force fut bien de se rendre à l’évidence et de résilier cette clause du traité. Mais, aujourd’hui encore, dans toute l’Océanie, les adversaires de l’influence française ont constamment à la bouche le dicton de : French priests and french brandies, prêtres français, eaux-de-vie françaises.

La question religieuse à elle seule soulevait déjà bien assez de difficultés et, en apparence, d’insurmontables complications. On le vit par le retentissement de l’affaire Pritchard, dont les discussions passionnées, en France et en Angleterre, mirent un moment en péril l’entente cordiale des deux pays et le trône du roi Louis-Philippe. A la distance où nous sommes du théâtre des événemens et de ces événemens eux-mêmes, on s’étonne que de si petites causes aient pu produire de si grands effets, et qu’une rivalité religieuse dans un coin perdu de l’Océanie ait soulevé des passions si vives. Pour le comprendre, il faut tout d’abord se rendre compte que la lutte n’était pas circonscrite à l’île de Papeité, mais qu’elle s’engageait simultanément sur les principaux points de l’Océanie. Aux îles Sandwich, les missionnaires américains avaient évangélisé l’archipel, fondé des temples, des écoles, converti la totalité de la population. A Tahiti, les missionnaires anglais avaient fait de même. Le protestantisme s’était implanté dans l’Océanie, il y était maître, partant jaloux d’une suprématie conquise par de rudes labeurs, des sacrifices considérables et un dévoûment auquel on ne saurait trop rendre hommage. Appelé, accepté par ces populations alors barbares, il avait introduit la civilisation, prêché la religion chrétienne, converti les chefs et le peuple, substitué des lois sages à d’atroces coutumes, triomphé de mœurs dissolues, proclamé la sainteté du mariage, du serment, le respect de la vie humaine, fait cesser les guerres de tribus à tribus et régner l’ordre et la paix. Leur œuvre achevée, sur ces terres par eux conquises, initiées à la civilisation, les missionnaires protestans se voyaient tout à coup menacés par des concurrens qui proclamaient hautement leur œuvre mauvaise, leurs doctrines fausses, leurs dogmes impies et qui prétendaient tout détruire pour tout reconstruire à nouveau. Ils eussent été plus que des hommes, ils eussent douté d’eux-mêmes et de leur foi en n’opposant pas une résistance vigoureuse à ces tentatives. Les chefs et le peuple leur étaient acquis ; les uns et les autres repoussaient ces nouveau-venus qu’on leur imposait par la force, et qui se présentaient à eux sous de fâcheux auspices. Ils encouragèrent ces dispositions hostiles. Abrités derrière les droits