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de s’éloigner, ils réclamaient et obtenaient l’intervention de la France. Le capitaine du Petit-Thouars, commandant la frégate la Vénus, imposait en 1838 une convention en vertu de laquelle les missionnaires catholiques devaient être admis à Tahiti et traités sur le même pied que les missionnaires protestans.

A Tahiti et aux îles Sandwich, la situation était la même. L’année précédente (1837), le commandant du Petit-Thouars avait exigé et obtenu du roi Kaméhaméha III la libre admission des missionnaires catholiques. Dans les deux archipels, la lutte s’engageait entre les missions protestantes et les missions catholiques, qui se disputaient la suprématie. Elle atteignait promptement un degré de violence qui mettait en péril les institutions et le gouvernement lui-même. La question religieuse se compliquait d’une question commerciale dont la France avait pris l’initiative et qui menaçait d’une dépopulation rapide les îles de l’Océanie. En 1830, le commandant Laplace exigeait en effet du gouvernement des Sandwich d’admettre les eaux-de-vie à un droit d’entrée qui ne pouvait excéder 5 pour 100 de la valeur.

En agissant ainsi et en engageant son gouvernement dans cette voie, le commandant Laplace croyait-il, de bonne foi, ouvrir aux produits français un débouché de quelque importance? S’il le crut, et c’est sa seule excuse, il se trompa fort. Imposer par la force l’admission des missionnaires catholiques et la libre introduction des eaux-de-vie, c’était créer dans l’esprit de ces populations une choquante confusion d’idées, mettre une arme redoutable dans les mains des missionnaires protestans et prendre l’initiative d’une mesure fiscale dont la honte était pour la France et le profit pour l’étranger. Nous avons pu constater par nous-même les tristes résultats obtenus, l’impopularité qui en rejaillit alors sur notre pays, et qui subsiste encore. En vertu des traités conclus avec l’Angleterre et les États-Unis, toute concession faite à la France devait s’étendre de droit à leurs nationaux. Il en résultait que les spiritueux anglais et américains, tels que le genièvre, l’eau-de-vie de grain, antérieurement prohibés, entraient dans la consommation après avoir acquitté le droit de 5 pour 100 de la valeur. La France n’ayant aucun commerce direct avec les îles, le traité restait lettre morte en ce qui la concernait; mais il n’en était pas ainsi pour l’Angleterre et surtout pour les États-Unis. Chaque année, plusieurs centaines de navires baleiniers américains relâchaient dans le port de Honolulu et débarquaient des spiritueux dont la consommation, partout et toujours dangereuse pour les indigènes, le devenait plus encore par l’abus résultant du bon marché et par l’excessive chaleur d’un climat intertropical. Si la France s’était proposé pour but de développer le commerce de ses rivales, de hâter la dépopulation