Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans l’arrêter, l’œuvre de propagande. Lorsque, en 1824, le commandant Duperrey visita Tahiti abord de la corvette la Coquille, il fut frappé des changemens survenus. « L’île de Tahiti, écrivait-il dans son rapport officiel, est aujourd’hui bien différente de ce qu’elle était du temps de Cook. Les missionnaires ont totalement changé les mœurs et les coutumes de ses habitans. L’idolâtrie n’existe plus parmi eux, et ils professent généralement la religion chrétienne. Les femmes ne viennent plus à bord des bâtimens ; elles sont d’une réserve extrême lorsqu’on les rencontre à terre. Les mariages se font comme en Europe, et le roi lui-même est assujetti à n’avoir qu’une épouse. Les femmes sont admises à la table de leurs maris. La secte infâme des Arreoys n’existe plus ; les guerres sanglantes que ces peuples se livraient et les sacrifices humains n’ont plus lieu depuis 1816. Tous les naturels savent lire et écrire ; ils ont entre les mains des livres de religion traduits dans leur langue et imprimés soit à Tahiti, à Uljéta ou à Eiméo. De belles églises ont été construites, et tout le peuple s’y rend deux fois par semaine avec une grande dévotion pour entendre la prédication. L’on voit souvent plusieurs individus prendre note des passages les plus intéressans des discours. »

A la même époque, un mouvement identique se produisait aux îles Sandwich sous l’impulsion des missionnaires américains. En Europe, on suivait avec une curiosité sympathique cette initiation de peuples barbares à la civilisation ; on rendait publiquement hommage aux efforts heureux des missions protestantes. En 1826, M. Guizot, faisant ressortir les caractères qui distinguent des missions catholiques les missions protestantes, s’exprimait ainsi :

« Le premier de ces caractères, celui qui me frappe d’abord, c’est que nos missionnaires ne vont point faire de conquêtes au profit d’une église déjà puissante ; ils n’étendent point la domination d’un gouvernement ecclésiastique ; ils n’importent pas même, chez les peuples qu’ils s’appliquent à convertir, une discipline extérieure déjà réglée, un gouvernement ecclésiastique tout fait. Ils leur portent seulement la foi et la morale de l’évangile ; ils prêchent une doctrine pour les esprits, une règle pour les actions ; ils travaillent à réformer l’homme intérieur, l’homme moral, l’homme libre : c’est à Dieu seul et à l’évangile qu’ils lui demandent de se soumettre ; ils laissent ensuite à la parole qu’ils ont semée le soin de faire le reste et d’organiser la société chrétienne selon les lieux, les circonstances, les possibilités. J’en pourrais citer de nombreux exemples : le plus récent est celui qu’a offert l’île Tahiti, où la société tout entière, religieusement et moralement réformée par les missions évangéliques, a réformé à son tour son organisation