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se convertirent au christianisme. Cette conversion faillit leur coûter la couronne. Défaits deux fois par les partisans du paganisme, ils ne durent qu’à l’intervention de l’Angleterre de l’emporter enfin en 1815. Le paganisme fut supprimé, les idoles brûlées, les maraes détruits et la religion chrétienne proclamée religion de l’état.

La fin du règne de Pomaré II ne répondit pas aux espérances que l’Angleterre avait conçues. À Tahiti, comme dans toutes les îles conquises à la civilisation, le débitant d’eau-de-vie suivait de près le missionnaire et n’y faisait pas moins de recrues. L’ivrognerie se propageait d’une façon effrayante. Pomaré II y succomba en 1821.

Son fils lui succéda sous le nom de Pomaré III. Sa tante était régente. Femme énergique, autoritaire et absolue, elle rappelle par plus d’un côté la veuve de Kaméhaméha Ier aux îles Sandwich. Elle aussi entreprit de relever l’autorité despotique, de résister aux empiétemens des missionnaires, qui rêvaient à Tahiti, comme aux Sandwich, l’organisation d’un gouvernement théocratique, seul capable à leurs yeux de tenir en échec les progrès de l’ivrognerie et l’influence désastreuse des aventuriers européens, dont l’exemple et les mœurs contrariaient leurs enseignemens. À huit cents lieues de distance, nous voyons des faits identiques aboutir aux mêmes conséquences. Une race douce et malléable, accessible aux influences extérieures, semble offrir à la civilisation une conquête facile et pacifique, et pourtant c’est par milliers que se comptent les victimes. Il semble que, par une loi fatale de l’humanité, le progrès ne puisse s’accomplir que lentement ; partout où sa marche est violentée, comme le char de Jaggernauth, il écrase les retardataires. L’histoire nous montre, en Europe, la civilisation grandissant péniblement, rejetant à chaque étape successive, sous forme de débris, les préjugés qui entravent sa marche, les institutions mêmes dont elle s’est servie pour avancer. Ici, nous la voyons parcourir en quelques années plus d’espace qu’ailleurs en un siècle, ne rencontrant devant elle aucune résistance, appelée, désirée de tous. Le paganisme avait vécu ; il s’écroulait de toutes part ?. L’abus atroce provoquait la réaction violente. On avait soif de vivre, de respirer, de secouer ce joug écrasant.

Les missionnaires trouvent la voie ouverte. Ils sont bien accueillis par une population lasse des excès d’une théocratie sans règle morale, d’un despotisme sans frein. Il semble qu’ils n’aient qu’à semer pour récolter. En peu d’années, les habitans passent d’une nudité presque complète à l’usage des vêtemens européens. Détail tout extérieur ; mais dans ces quelques années la dépopulation fait des ravages effrayans. Les sauvages, aussitôt vêtus, contractent des maladies inconnues parmi eux ; la pneumonie, la bronchite font des milliers de victimes.