Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/392

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrivèrent pour fêter cette commémoration. Eq même temps, la légion d’Alais, partie pour aller combattre les royalistes, rentrait triomphalement, ses canons, ses fusils, les chapeaux des légionnaires pavoisés et couronnés de branches de laurier. Ces troupes assistèrent à la messe constitutionnelle, qui fut dite dans la prairie d’Alais. A une heure, elles étaient rentrées et dispersées dans la ville. C’est alors que des individus demeurés inconnus se mirent à la tête d’une bande d’environ deux cents hommes et les engagèrent, au nom de la nation, à faire œuvre patriotique, en mettant à mort les contre-révolutionnaires détenus dans la prison du fort. Cette proposition fut saluée de joyeuses clameurs. La municipalité fit preuve d’une criminelle faiblesse. Elle avait eu vent, dès la veille, de ces sinistres projets. Elle ne prit aucune mesure pour les conjurer, et trois fois chassés du fort, dans lequel une mystérieuse, mais certaine complicité les introduisit chaque fois, en abaissant le pont levis, les envahisseurs purent égorger tour à tour, quatre des prisonniers, Roure, Nias, d’Esgrigny et Mme Gaillard.

Ces deux derniers reçurent la mort dans la cour du château avec les traitemens les plus barbares. On les dépouilla de. leurs vêtemens, on leur coupa la tête; puis, les deux cadavres jetés l’un sur l’autre dans une altitude indécente, la tête d’Esgrigny au bout d’une pique, celle de Mme Gaillard tenue à la main par les cheveux, les assassins allèrent promener dans les rues ces horribles trophées. Celui qui portait la tête de l’infortunée marchait en avant, dansant et criant :

— C’est moi qui l’ai fait I c’est moi! Vive la nation[1] !

Presque tous les habitans d’Alais, glacés par l’effroi, s’étaient enfermés chez eux. Les autorités demeuraient inertes. Une escouade de dragons ayant rencontré le hideux cortège, se rangea pour le laisser passer. La municipalité, qui s’était retirée après avoir promené le drapeau rouge dans la ville, ne donna des ordres décisifs que lorsque les scélérats, las de tant d’infamies, eurent abandonné les restes de leurs victimes dans le ruisseau, pour aller piller plusieurs maisons royalistes, qui restèrent également sans défenseurs. Les cadavres furent ensevelis dans la soirée, les têtes traînées dans les champs, où elles se perdirent. Plusieurs catholiques, activement recherchés par les assassins, purent rester cachés et fuir pendant la nuit.

Le lendemain, quand les administrateurs du Gard et le général d’Albignac traversèrent la ville, tout était rentré dans l’ordre. Les

  1. Ces tragiques détails sont extraits des procès-verbaux des séances de la municipalité d’Alais et d’une relation manuscrite, rédigée par un témoin oculaire.