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entreposeur des tabacs aux Vans, et trois autres citoyens de cette ville, Chanay, Reynaud et Etienne Rivière, fuient massacrés à la place où avait péri le comte de Saillans, tandis que les deux fils de Reynaud tombaient, à quelques lieues de là, sous les fureurs des patriotes.

Il y eut alors bien des crimes analogues que l’obscurité qui enveloppe ces temps lointains ne nous a pas permis de reconstituer complètement, mais dont les documens officiels portent assez de traces pour qu’ils ne puissent être révoqués en doute. Le nom de quelques-unes des victimes est parvenu jusqu’à nous. Ce fut d’abord l’abbé de la Bastide de Malbosc, prieur de Saint-Bauzéli. Après la mort de son frère, assassiné au Pont-Saint-Esprit, au lendemain du premier rassemblement de Jalès, ce prêtre, vieux et infirme, ayant refusé le serment civique, s’était retiré avec sa belle-sœur dans une petite propriété qu’il possédait à Bannes. Il vécut là jusqu’au mois de juillet 1792. La défaite du comte de Saillans l’obligea à tuer. Il se réfugia dans une caverne, au milieu des bois, ayant auprès de lui la veuve et les enfans de son frère, ceux-ci encore en bas âge. Ces malheureux vécurent ainsi pendant quinze jours, nourris par des fermiers des environs. Puis, avertis que leur retraite était découverte, ils revinrent une nuit à Bannes. Mais ce fut pour y trouver leur maison incendiée et, dans l’impossibilité de revenir sur leurs pas, se voir réduits à chercher un abri sous ses décombres. C’est là qu’on vint les arrêter, à la suite d’une dénonciation. L’abbé de Malhosc, entraîné sur les bords d’un ruisseau nommé le Tégoul, fut mis en joue par une douzaine d’énergumènes et fusillé sous les yeux de l’un de ses neveux, âgé de dix ans. Mme de Malhosc, envoyée à Paris, n’échappa à l’échafaud que grâce au 9 thermidor.

Ce fut ensuite l’abbé de la Bastide de la Molette et un de ses parens, le chevalier d’Entremaux. On sait avec quelle ardeur l’ancien gendarme, devenu chanoine d’Uzès et vicaire-général de Mgr de Béthisy, évêque de cette ville, avait pris fait et cause pour le mouvement royaliste. Dans la soirée du 12 juillet, il s’était enfui de Jalès, en même temps que l’abbé Claude Allier, Mais il n’eut pas une chance aussi heureuse. Des gardes nationaux suivaient ses traces, ils l’arrêtèrent dans sa maison de campagne, sur la route de Langogue à Villefort, et avec lui le chevalier d’Entremaux, coupable seulement d’avoir accepté son hospitalité. On les mena tous deux à Joyeuse. Injuriés et maltraités en route, ils déployèrent le plus grand courage, ne cessant de demander des juges. Ils arrivèrent à Joyeuse, le lendemain, dans la matinée. C’était un dimanche. La messe constitutionnelle venait de finir. Pour échapper aux buées dont ils étaient l’objet de la part de la foule réunie sur la place,