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un prisonnier aussi notoirement compromis et de protéger ses jours, il le ferait partir sous bonne escorte pour Orléans aussitôt après l’avoir interrogé. Mais ces résolutions étaient à peine arrêtées qu’il apprit par un nouvel envoyé que l’agent des princes venait de périr, lui et ses compagnons, sous les coups d’une poignée de furieux, en arrivant aux Vans.

Tout le long de la route, l’escorte des prisonniers s’était grossie d’une foule de gardes nationaux qui ne cessaient de proférer contre eux des injures et des menaces. A l’entrée des Vans, on rencontra un énorme rassemblement de peuple animé des mêmes passions, avide de châtier les rebelles et de venger sur eux ses terreurs à peine dissipées. Cette petite ville avait subi depuis dix jours les plus cruelles angoisses, livrée tour à tour aux royalistes et aux patriotes, et menacée également par les deux partis. Définitivement vainqueurs, les patriotes attribuaient tous leurs maux au comte de Saillans et aux prêtres réfractaires. Déjà la veille, ils étaient allés, comme on l’a vu, arrêter neuf de ceux-ci, les avaient ramenés aux Vans et emprisonnés. L’heureuse chance du vétéran Hyacinthe Laurent leur livrait un coupable de plus et non le moins redoutable. Ils allèrent au-devant de lui, excités déjà par la nouvelle de sa défaite, possédés de ce sentiment d’implacabilité qu’engendrent dans le premier moment les victoires longuement disputées.

C’est parmi cette foule exaspérée et hostile que les prisonniers entrèrent dans la ville. Les commissaires du directoire, le maire, le juge de paix, plusieurs officiers essayaient vainement de contenir la populace. Pour avoir raison d’elle, il aurait fallu employer la force. On n’osa le faire, et c’est ainsi que la troupe de ligne, dont l’intervention eût empêché l’effusion du sang, assista, l’arme au bras, aux scènes qui suivirent, sans être appelée à les empêcher.

Les prisonniers avaient été conduits à la mairie. Mais, au lieu de les y faire entrer sur-le-champ, on les laissa d’abord sur la place de la Grave, au centre d’une bande d’énergumènes dont l’audace s’accrut en même temps que s’accentuait la faiblesse des pouvoirs publics. Quand ceux-ci purent mesurer l’étendue du danger qui menaçait le comte de Saillans et ses compagnons, il était trop tard pour les y soustraire. Entourés de toutes parts, menacés, maltraités, ils ne pouvaient plus être sauvés. Le juge de paix Coren-Fussier, le capitaine de Bois-Bertrand et le lieutenant Roger, qui se trouvaient aux Vans, déployèrent néanmoins une rare intrépidité pour les arracher à la mort; mais nul n’avait plus la puissance de commander aux passions. Ils y renoncèrent et disparurent, laissant les cinq malheureux aux prises avec les bandes patriotes, qui les tuèrent à coups de sabre et s’acharnèrent furieusement sur leurs cadavres.

Le même jour, un garde national royaliste, le capitaine Terron,