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aucune hostilité, que je resterai dans mon château de Bannes, comme faisant partie de mon héritage; je déclare de plus que je ferai tous les sacrifices possibles pour faire cesser tous les brigandages qui se commettent de part et d’autre. C’est dans ce moment que tout rassemblement n’aura plus lieu et chacun rentrera dans sa maison.

« C’est dans ces sentimens, du plus profond de mon cœur, que j’exhorte tous les partis divisés à se réunir en vivant en bonne intelligence et nous en rapporter aux puissances qui nous prendront sous leur protection. »

Le style étrange de cette proclamation trahit le trouble qui dominait l’esprit du comte de Saillans au moment où il l’écrivait. Cet appel à la paix succédant à l’appel à la guerre qu’il faisait entendre la semaine précédente, cette prétention à considérer comme son héritage le château de Bannes, propriété de la famille du Roure, enfin la promesse d’y rester, solennellement faite, au moment où il se préparait à fuir, sont autant de traits qui permettent d’affirmer qu’en cet instant tout son sang-froid l’abandonnait ou qu’il cherchait à endormir la surveillance dont il était l’objet. Un de ses partisans se chargea de porter cette dernière manifestation du royalisme expirant aux quelques bandes qu’on disait être encore à Saint-Ambroix. Mais il ne put arriver au terme de son voyage. Rencontré en chemin par un détachement de l’armée patriote qu’il voulut éviter, il fut tué d’une balle au moment où il prenait sa course à travers champs.

Quelques heures après, par une nuit obscure, un orage éclata tout à coup. La pluie tombait à torrens, les éclairs se succédaient. Les soldats qui tenaient la campagne comme ceux qui assiégeaient le château renoncèrent à rester en plein air pendant cette bourrasque. Ils coururent se réfugier à Bannes et à Berrias, laissant libres les issues de la place. Le comte de Saillans jugea que l’occasion était propice pour s’enfuir. Il se procura des habits de paysan, il s’en revêtit et, après avoir fait partir devant lui sa petite garnison, il quitta le château de Bannes pour n’y plus rentrer. Il le quittait la rage dans le cœur. Il eut même le tort, au moment de s’éloigner, de songer à la vengeance.

Trois soldats du 38e de ligne, faits prisonniers durant la journée précédente, étaient incarcérés dans les caves du château. En partant, il donna l’ordre de les fusiller. Heureusement pour ces pauvres diables, parmi tant de gens pressés de fuir, personne n’eut le courage de pousser jusqu’au bout l’exécution de cet ordre odieux. Il se trouva même quelqu’un pour les mettre en liberté, alors que leur supplice commençait. L’un d’entre eux en fut quitte pour une blessure légère, les deux autres pour la peur. Une fois délivrés, ils se rendirent aux Vans, où ils firent connaître l’évacuation de la place