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corridors mystérieux qu’a formés la nature en cet endroit, dans les clairières protégées par les rocs amoncelés et enfouis sous les arbres.

D’autres parvinrent à regagner leur village pendant la nuit, à y rentrer sans être aperçus et à faire croire qu’ils n’en étaient pas partis. Il en est enfin, ce fut le plus petit nombre, qui se laissèrent prendre par les détachemens de patriotes répandus dans la campagne. On les massacra presque tous, sur les grandes routes, à l’entrée des buis, dans les fermes où ils demandaient l’hospitalité d’un moment. Il y eut ainsi bien des drames sanglans dont l’histoire ne connaîtra jamais ni le nombre, ni l’horreur, ni les victimes, et dont elle ne saurait rien si les documens officiels parlant de celles-ci, ne portaient « qu’on en immola beaucoup. » Les survivans furent dirigés vers la citadelle du Pont-Saint-Esprit, où ils devaient attendre qu’on eût statué sur leur sort.

Parmi les fugitifs se trouvaient les chefs de la conspiration, les officiers du comte de Saillans, les membres du comité de Jalès, beaucoup de prêtres, le chevalier de Melon et Dominique Allier, dont nous avons indiqué déjà le sort, le frère de ce dernier, Claude Allier, curé de Chambonas, l’âme même du complot, qui, par ses folles ardeurs et ses illusions, avait hâté l’n’réparable défaite, l’abbé de la Bastide de la Molette, un autre exalté comme lui, Perrochon, l’intendant-général de l’armée, plusieurs encore dont, à trois jours de là, le directoire de l’Ardèche allait mettre la tête à prix. En se retournant, ils pouvaient voir derrière eux, sur divers points de la contrée dont ils avaient fait un théâtre de guerre civile, de formidables incendies allumés. Saint-André-de-Cruzières était en feu; en feu aussi le château de Jalès; en feu plusieurs maisons de Berrias et de Bannes. Dans tous les villages de la plaine, le tocsin se faisait entendre; au son des cloches se mêlait le bruit de la fusillade dirigée sur les fuyards, combattans désarmés ou pauvres diables qui n’avaient pas voulu se mêler à l’action et dont les vainqueurs châtiaient la neutralité en mettant leur maison au pillage.

Pendant toute cette longue journée, le comte de Saillans avait en vain attendu des secours. Des hommes sur lesquels il comptait le plus, les uns s’étaient abstenus de répondre à son appel; les autres lui avaient fait savoir que, mandés à l’improviste et plus tôt qu’ils ne s’y attendaient, ils ne possédaient pas des forces suffisamment organisées pour pouvoir lui venir en aide. Quelques-uns lui avaient reproché sa légèreté, son mouvement prématuré, en rejetant sur lui la responsabilité de leur impuissance commune. C’est qu’en réalité il avait poussé la témérité et l’imprudence à l’extrême, en envoyant, le 3 juillet, des ordres de tous côtés, sans s’informer d’abord si ceux à qui il les adressait étaient en état de