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— L’heure est venue de marcher, leur disaient-ils; prenez vos armes et suivez-nous. Si vous résistez, vous serez fusillés. Mais vous ne résisterez pas; vous ne voudrez pas vous révolter contre la volonté de Monsieur et de Monseigneur le comte d’Artois.

Quelques-uns se laissaient convaincre ; mais le plus grand nombre prenait la fuite. Vainement, certains maires et des prêtres réfractaires secondaient de leur mieux les agens du comte de Saillans, leur désignaient les maisons où se cachaient les déserteurs, pressaient les récalcitrans et les traînards; ceux-ci se dérobaient au destin qu’on voulait leur faire subir. Les quinze mille hommes promis par Claude Allier au général royaliste ne figuraient, hélas ! que sur le papier; on ne parvint pas à en réunir plus de quinze cents, décidés à jouer leur vie pour la cause royale.

Il est vrai qu’en devançant de plusieurs jours la date primitivement fixée pour une levée en masse, le comte de Saillans avait surpris les gens, insuffisamment préparés encore à ce qu’on attendait d’eux. Ils n’avaient pas eu même tous connaissance de ses ordres, dont plusieurs copies, saisies par le lieutenant Roger sur la personne d’un porteur arrêté par lui, avaient été expédiées au directoire du département.

Dans la matinée du 4 juillet, le comte de Saillans, en voyant réunis autour de lui, dans le camp formé sous le château de Bannes, quelques centaines d’hommes seulement, alors qu’il en avait espéré plusieurs milliers, put mesurer l’étendue de sa faiblesse. Il se plaignit amèrement aux chefs royalistes de la contrée qui l’avaient poussé à une action immédiate. Il adressa de vifs reproches à l’abbé Claude Allier, par les promesses duquel il s’était laissé tromper. Celui-ci répondit en promettant de nombreuses recrues pour le lendemain. Cette promesse ne toucha guère le comte de Saillans. Il commençait à douter du succès. Mais la partie était déjà trop vivement engagée pour qu’il pût l’abandonner. Il n’y avait plus qu’à tenter un coup de désespoir, afin d’obtenir un premier avantage qui pourrait seul amener des partisans à une cause déjà compromise.

Dès le matin, il réunit sa troupe dans l’église de Bannes, où la messe fut célébrée. On bénit ensuite solennellement un drapeau blanc, tandis que, debout près de l’autel, le comte de Saillans entonnait une hymne que l’assistance chanta avec lui. Cette cérémonie exalta les courages, déchaîna les imaginations. Des mesures furent prises pour investir étroitement le château de Bannes. Le chevalier de Melon proposa de conduire aux Vans les troupes disponibles, afin de piller cette bourgade qui, tour à tour, aux mains des royalistes et des patriotes, semblait plus favorable à ces derniers