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triomphant que la malice pure ne saurait trouver. Enfin Éliante est encore une autre expression de la femme du monde, non pas la plus brillante, mais la plus douce ; sensée, indulgente, agréable, promettant plus pour l’intimité et la sûreté de la vie ; un peu effacée n’ayant rien d’une reine de salon. Elle saurait comprendre Alceste, mais elle ne manque pas non plus de fierté ; et lorsque celui-ci, avec une gaucherie peu aimable, s’excuse de ne pas lui demander sa main, elle sait bien riposter avec quelque vivacité :

Ma main de se donner n’est pas embarrassée.


Enfin Oronte et les marquis achèvent ce portrait du monde : c’est, d’un côté, la jeunesse superficielle, frivole, vide, la fatuité sotte, le bavardage inutile, et la médisance élégante ; dans Oronte, il y a moins de légèreté et moins de frivolité ; mais ces défauts sont remplacés par la ridicule prétention d’un poète de salon.

Qu’il y ait eu dans notre théâtre une comédie qui ait précisément pour objet la peinture du monde, c’est ce qui ne doit point étonner, car on peut dire que notre littérature tout entière est une littérature mondaine, née du monde et pour le monde. On a dit que nos écrivains du XVIIe siècle sont tous des écrivains de cour, que c’est pour la cour que nos chefs-d’œuvre ont été écrits. Cela ne peut être accordé que si l’on entend par cour le modèle et la perfection de la vie mondaine. C’est en effet en France que le monde est arrivé à sa perfection, et c’est la cour qui en a été le principal agent. Nulle part l’art de vivre en société, l’art de causer, l’art de plaire, l’art de peindre, l’art d’analyser, l’art de penser en commun, l’art de raisonner sur la vie, sur les mœurs, sur le cœur humain, en un mot l’art de la vie mondaine n’a été poussé si loin. Aussi notre littérature a-t-elle surtout excellé dans les œuvres essentiellement mondaines, les mémoires, les correspondances, les maximes, la comédie. La tragédie elle-même, au moins dans Racine, a le même caractère ; elle est plus remarquable par la psychologie que par l’invention dramatique ; plus par la science et par l’art que par l’imagination et la poésie. Corneille, Pascal et Bossuet sont seuls en dehors de ce type et le surpassent ; encore peut-on dire que les Provinciales sont une œuvre de théologie mondaine et que les Oraisons funèbres elles-mêmes, malgré leur grand air, sont aussi, par les ménagemens habiles, par les éloges convenus, par la peinture merveilleuse de la vie de cour, par les grandes vérités profanes mêlées aux vérités sacrées, des œuvres faites pour le monde et inspirées par le monde. Dans cette littérature, il n’est