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comédie : « Y a-t-il, disait ce prince de l’ancien camarade dont il avait encouragé les premiers essaie, y a-t-il une école d’athéisme plus ouverte que le Festin de Pierre, où après avoir fait dire toutes les impiétés les plus horribles à un athée qui a beaucoup d’esprit, l’acteur confie la cause de Dieu à un valet à qui il fait dire pour la défendre toutes les impertinences du monde? Et il prétend justifier à la fin sa comédie si pleine de blasphème à la faveur d’une fusée qu’il fait le ministre ridicule de la vengeance divine ; même, pour mieux accompagner la forte impression d’horreur qu’un foudroiement si fidèlement représenté doit faire dans les esprits du spectateur, il fait dire en même temps au valet toutes les sottises imaginables sur cette aventure[1]. »

On voit que Don Juan ne fut pas plus à l’abri de la critique des dévots que ne l’avait été le Tartufe, mais peut-être, comme le dit un des apologistes de Molière, est-ce l’une de ces pièces que l’on continue à poursuivre dans l’autre : « A quoi songiez-vous, Molière, dit cet apologiste, quand vous fîtes dessein de jouer le Tartufe? Si vous n’aviez jamais eu cette pensée, votre Festin de Pierre ne serait pas si criminel... L’esprit de vengeance ne ferait pas chercher dans vos ouvrages des choses qui n’y sont pas. » Cette fois, Molière ne se soucia pas beaucoup de l’attaque; il ne mit pas la plume à la main pour se défendre comme il l’avait fait pour l’École des femmes et pour Tartufe lui-même : il laissa ce soin à des amis. Deux répliques furent adressées à l’auteur des Observations: l’une assez faible, l’autre un peu plus forte. Nous essaierons nous-mêmes, à notre tour, cette apologie, en empruntant à l’une ou à l’autre ce qu’elles peuvent avoir de bon.

Nous n’insisterons pas beaucoup sur l’imputation d’avoir mis sur la scène une religieuse qui a violé ses vœux ; car il ne faut pas oublier que sur le théâtre italien et espagnol, dont la pièce est tirée, les auteurs ne se faisaient pas faute de faire paraître des religieuses et des moines; et si notre théâtre est devenu plus scrupuleux, c’est en grande partie à Molière qu’il le doit. En outre, lorsqu’Elvire paraît, dans la pièce, le mal a été fait; la faute est passée, et elle ne demande qu’à la réparer; enfin, désabusée sur son amant, elle s’est jetée de nouveau entre les bras de Dieu pour expier son péché; et elle ne reparaît devant don Juan que pour essayer de le ramener au bien et à la vertu : elle ne pense plus qu’au salut pour elle-même et pour lui. On voit que Molière a employé toutes les adresses pour sauver ce qu’il y avait d’un peu hardi dans la peinture d’une religieuse amoureuse. Mais, dira-t-on, pourquoi

  1. Sentimens des pères de l’église sur la comédie et sur les spectacles.