Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/339

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

or l’église ne peut pas consentir à admettre que, dans un état gouverné par ses maximes, il n’y aura pas quelque avantage en faveur de ceux qui croient et qui pratiquent. D’ailleurs, il faut le reconnaître, si l’on devait renoncer aux pratiques extérieures aussitôt que la foi diminue et est ébranlée, ou quand on a des faiblesses morales, combien de pratiquans seraient réduits à devenir des libres penseurs? Or la pratique sans foi et sans piété n’est-elle pas précisément ce que les hommes appellent hypocrisie? Ce ne sont pas les jésuites, c’est Pascal lui-même qui conseille de faire comme si on croyait : « Vous voulez aller à la foi et vous n’en savez pas le chemin;., apprenez de ceux qui ont été liés et qui parieraient aujourd’hui tout leur bien,.. suivez la manière par où ils ont commencé : c’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes; naturellement cela vous fera croire et vous abêtira. » On ne voit donc pas clairement, au point de vue religieux, ce que peut être l’hypocrisie. Le mal est dans le vice, mais jamais dans la piété, même extérieure. Corrigez-vous du vice, si cela se peut; fortifiez-vous dans la foi; mais ne renoncez jamais à la pratique et aux œuvres.

On voit que, sur ce point, il est difficile qu’il y ait accord entre la morale du monde et celle de l’église. Théoriquement, on blâmera l’hypocrisie de part et d’autre, mais d’une part avec énergie et conviction, et de l’autre avec une secrète complaisance. C’est pourquoi la comédie réclame impérieusement son droit; car elle n’admet pas de prescription ni d’accommodement pour ce que l’on peut appeler en morale « les lois existantes, » c’est-à-dire le droit humain, le droit des familles et des propriétés. De son côté, l’église proteste, sentant avec raison combien il est difficile de fixer une limite entre la vraie et la fausse piété; car la vraie piété serait la piété complète, animée par une foi sans mélange et soutenue par une vertu sans tache ; or, si l’on ne permet la pratique qu’à ces conditions, autant dire qu’il ne doit pas y en avoir du tout. D’ailleurs, nul n’aime à flétrir soi-même ce qui a l’apparence de ses principes, fût-ce une menteuse apparence, de même que l’on ne repousse pas la flatterie, même lorsqu’on sait qu’elle est la flatterie. C’est pourquoi les dévots auront toujours quelque faible pour les hypocrites et n’aimeront pas les voir attaquer. M. Eugène Despois, dans son Théâtre-Français sous Louis XIV, a reconnu que les dévots avaient quelque raison de se formaliser du Tartufe, et il rapproche ingénieusement cette comédie de celle de Palissot au XVIIIe siècle sur les Philosophes. Il dit que les philosophes ont jeté les hauts cris aussi bien que les dévots; ils se sont dits calomniés et auraient bien voulu faire interdire la pièce, comme on a fait de Tartufe. Cet