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dépense des « escholiers, » il se souvenait que, pauvre béjaune, il avait pendant ses premières études souffert du froid et de la faim, mais il oubliait, quoique Rabelais le lui eût rappelé, que s’il devait à la liberté de l’enseignement de nombreux écus beaux et trébuchans, d’autres aussi en voudraient bien avoir. Quoique la supplique soit restée sans effet, ceux qu’il voulait priver du droit de vivre en enseignant, après avoir acquis nom et degré de « maistres, » mirent sans doute un long temps à lui pardonner.

Un chanoine de Notre-Dame, nommé Rouillard, fut comme Ramus, le jour de la Saint-Barthélémy, massacré dans sa maison. Michelet en donne la raison « plus forte, dit-il, qu’on ne croit dans les guerres civiles : c’était un homme d’un mauvais caractère. » La même raison s’applique à Ramus.

Un homme armé, un jour, pénétra dans le collège de Presles. Ramus s’en saisit, et, se chargeant lui-même du jugement et de l’exécution, il le fit battre et fustiger de verges, puis jeter dans la rue déchiré et sanglant.

Un autre jour, des écoliers mutinés proféraient contre lui d’insolentes menaces. Confiant dans son éloquence, il se présente à eux sans armes, en leur remontrant qu’immoler un maître est un parricide. La mémoire de l’infâme Néron, ce monstre du genre humain, n’est-elle pas souillée par le meurtre de Sénèque autant et plus peut-être que par celui d’Agrippine?

Les écoliers, soucieux de leur mémoire, se retirèrent émus et convertis pour toujours. Mais puisque nous sommes réduits aux conjectures, l’homme fouetté, que Ramus n’avait pas jugé digne des beaux tours de son éloquence, ne craignait pas, sans doute, d’être comparé à Néron ; il vivait peut-être encore le jour de la Saint-Barthélémy, et il n’était besoin ni de l’exciter ni de lui montrer le chemin.

Dans ces temps troublés, lorsque les villes, d’après le mot d’un chroniqueur du temps, n’étaient plus villes, mais repaires de tigres et de lions, de telles scènes, pour n’être pas rares, n’en laissaient que de plus vives inquiétudes. Ramus, au retour d’un voyage, alla chercher asile à Vincennes. Dans son collège de Presles, indignement dévasté et pillé en son absence, il croyait sa vie menacée par des embûches et entreprises de le mettre à mort.

Charpentier était catholique, mais, bien différent de Ramus, qui sans cesse voulait prendre le public pour juge, il n’aurait pas voulu, dans les querelles des lettrés, quitter le terrain de la science et des bonnes lettres. Quand Charpentier combat Ramus et Lambin, qui prit parti pour lui, jamais il ne prononce leurs noms. Ramus est pour lui Thessalus, et Lambin Logodædalus. « Les érudits, dit-il.