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Il lui donne une leçon, cela est incontestable, en le reprenant d’un ton de maître et le corrigeant sur la matière précisément où le sagace et docte Turnèbe a le plus excellé ; il lui montre comment il faut enseigner le grec en suivant la méthode, bien préférable à la sienne, de son prédécesseur Tusan. Mais quand il ajoute : « Heureuse l’Académie de Paris d’avoir possédé un Tusan ! Malheureuse, après l’avoir perdu, de lui voir pour successeur un Turnèbe! » il donne un s ngulier exemple de modération, d’urbanité et de bon goût; bien malheureux surtout, s’ adressant à Turnèbe, dont Montaigne, qui l’appelait « mon Turnèbe, » a dit : « Il étoit, à mon opinion, le plus grand homme qui fust il y a mille ans; il sçavoit plus, et sçavoit mieulx ce qu’il sçavoit qu’homme qui feust de son siècle ny loing au-delà, » dont Estienne Pasquier rapporte, par relation de personnages dignes de foi, que dans les universités d’Allemagne, lorsque ceux qui étaient en chaire alléguaient Turnèbe, aussitôt ils mettaient la main au bonnet pour le respect et honneur porté à sa mémoire, et dont Brantôme enfin, pour dernière louange, nous apprend qu’il fut très savant homme en grec et en latin, mais non qu’il eut une telle piaffe de parler en seigneur, comme Ramus.

Lorsque Charpentier s’écria, au milieu des discussions les plus vives : « Je puis être fier de recevoir tes invectives ; tu les as lancées déjà à Turnèbe, le plus docte des maîtres, le plus modeste des érudits, le plus aimable des hommes, » Ramus avait mérité l’apostrophe.

L’opinion cependant, peu soucieuse des antipathies entre ceux qui se ressemblent, n’en rapproche pas moins leur mémoire. L’auteur de la Satyre Ménippée, voulant rendre hommage aux beaux jours de l’Université, parle « du temps de Ramus, Galland et Turnèbe; » non sans doute qu’il oublie leurs querelles, mais comme il eût parlé du temps où florissaient Rome et Carthage.

Loin d’avoir été l’agresseur, quand à son tour il entra en lutte contre Ramus, Charpentier prétendait répondre à ses attaques. Professeur non moins habile, plus recherché peut-être que son adversaire, il n’avait pu trouver aucune salle assez grande pour abriter ses auditeurs ; en toute saison et par tous les temps, la porte ouverte laissait parvenir la parole du maître jusqu’aux écoliers pressés dans la cour. L’école, semblable à un théâtre, retentissait du bruit des applaudissemens. Les leçons de Ramus, payées par le roi, étaient moins suivies. Ego pretio, tu gratis, disait Charpentier, et il en était fier.

Charpentier, dans sa chaire, défendait Aristote contre les attaques de Ramus, Ramus, dans la sienne, répliquait avec aigreur, et quand Charpentier s’adressa au public, il ne commençait pas la guerre.

La violence de son premier écrit ne dépasse pas le ton de la