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Après avoir, dans ses thèses, fouetté, comme dit Henri Estienne, le tant docte personnage Aristote, en accusant toutes ses assertions de fausseté et d’erreur, disputé, pour les contredire, contre tous venans, et par ce paradoxe étrange, cette exagération téméraire, cet hérétique blasphème au jugement de ses maîtres, déchaîné, comme il l’a dit lui-même, les vents orageux sur la mer, il reçut de l’Université étonnée et inquiète le diplôme de maître ès arts; mais le scandale fut grand. Ramus voulait, dit un de ses adversaires, enlever le soleil à l’univers. Le roi François Ier s’en émut ; une commission royale, spécialement chargée d’étudier cette grave question, priva Ramus du droit d’enseigner la philosophie. Charpentier, écolier alors au collège de Boncours, joua son rôle dans les grossières bouffonneries par lesquelles l’Université poursuivit et « farça » ce prévaricateur et ce traître. La contrainte imposée à Ramus n’était cependant ni très étroite ni très dure; la philosophie seule lui était interdite; il dirigeait librement le collège de Presles et par de hardies nouveautés y attirait de nombreux élèves. Désireux avant tout de polir les jeunes esprits par les bonnes lettres, il mêlait la littérature à toutes les études et par tous les moyens voulait stimuler l’éloquence; orateur incomparable lui-même, Ramus servait de modèle et d’exemple, se faisant gloire d’élargir en tout sens les programmes et d’enfreindre les règlemens jugés ridicules. Sa prétention était « d’oster du chemin des arts libéraux les espines, cailloux et tous empeschemens et retardemens des bons esprits, et de faire la voye plaine et directe pour parvenir plus aisément, non-seulement à l’intelligence, mais à la praticque et à l’usage. »

La tentative est mémorable et pouvait être féconde, je veux en convenir, mais le jeune recteur, en mettant la bride aux nouveautés pour maintenir la règle, qu’on veuille ou non la nommer routine, remplissait-il moins son devoir?

L’affaire fut portée devant le parlement. Ramus et Charpentier disputèrent avec une très belle éloquence. Ramus n’éleva pas la prétention d’être irréprochable, mais l’Université a habitué les siens à des voies moins éclatantes et plus douces. Pourquoi l’avertissement, comme c’est l’usage, n’a-t-il pas précédé les rigueurs? N’a-t-il pas été dit : « Si ton frère pèche contre toi, va lui parler seul à seul ! » Nous avons un pamphlet composé à cette occasion par un professeur au Collège Royal, Galland, directeur du collège de Boncours, personnage alors considérable dans l’Université. Ramus l’avait accusé à tort, Galland le déclare, d’avoir excité secrètement le jeune recteur, son ancien élève, et vingt fois il l’appelle, dans sa défense, le mauvais génie de l’Université. Galland n’était donc pas l’agresseur. Il reproche à Ramus d’apporter dans les classes par ses